La laïcité en péril : réagir ou périr I
Pour ce numéro, traversons la frontière et penchons-nous sur la situation en France. Notre prochaine chronique sera consacré à la Belgique.
• Charlie Hebdo (Hors-Série, février-mai 2024)
Gérard Biard, rédacteur en chef du magazine qui, rappelons-le, paya lourdement (attentat du 7 janvier 2015) la publication d’un dessin de Cabu, s’en prit de manière particulière à la gauche : « La laïcité expliquée
à la gauche ».
La laïcité, c’est la pensée des Lumières, expliqua-t-il, la liberté de conscience, l’émancipation, le libre arbitre, la liberté d’expression et le droit au blasphème, la primauté des lois civiles sur les lois divines.
Généralement, c’est la gauche et les progressistes qui ont mené les batailles pour qu’il en soit ainsi, alors que la droite et l’extrême droite œuvraient, en complicité avec les Églises, en sens inverse afin de les contrer ou en diminuer la portée.
« On est citoyen par le droit du sol et non par le droit du ciel ! » clama-t-il.
Et d’ajouter : « Une laïcité intransigeante est le seul rempart possible contre le fascisme religieux. Les programmes scolaires et les outils pédagogiques sont l’affaire de l’Éducation nationale et de ses
fonctionnaires, pas des responsables des cultes. »
Et de poser la question, principalement à la gauche qui a abandonné le combat de la laïcité et trahi ses valeurs et ses principes au point qu’afficher son antilaïcisme est devenu, contre toute logique, du dernier chic « progressiste » : « A-t-on encore le droit de ne pas croire en Dieu ? »
Sa réponse : « Dieu n’est qu’un postulat bien loin d’être vérifié, une construction fantasmatique destinée à donner un sens à la vie (…) La religion s’est de nouveau imposée comme une science exacte et on accorde encore le plus grand crédit, pour ne pas dire la préséance intellectuelle, à des gens qui croient plutôt qu’à des gens qui savent. »
Sa conclusion : ne rien lâcher et rappeler, inlassablement, la gauche à ses combats historiques.
• Marianne (29 février au 6 mars 2024)
« Laïcité : la bataille perdue de la jeunesse et les moyens de la reconquête », soit quatorze pages du magazine pour expliquer qu’une partie de la jeunesse française s’oppose à la loi de 2004 sur le port des signes religieux ostensibles à l’école vingt ans après son adoption. Cette situation tend à se focaliser sur la tolérance vis-à-vis de l’expression confessionnelle, au risque de négliger la protection des individus contre les prosélytismes, selon le journaliste Hadrien Brachet.
Et de chiffer cela : 52% des lycéens français sont favorables au port de signes religieux.
Des jeunes qui sont surtout déçus de la promesse républicaine de liberté, d’égalité et de fraternité non tenue, y dit Samuel Grzybowski, fondateur de « Coexister, mouvement de jeunesse interconvictionnel ». Quant à Hadrien Mathoux, il titre son reportage par « Ceux qui nous ont fait perdre la bataille ». Ce sont ceux qui « ont contribué à installer dans certaines têtes l’idée que la laïcité constituerait une arme contre l’islam, ou bien ont baissé les bras face au prosélytisme en s’abritant derrière les valeurs de la liberté et de l’inclusivité. »
Le professeur d’histoire-géographie, Iannis Roder, auteur de l’essai Préserver la laïcité (Éditions de l’Observatoire, 2024), évoqua la nécessité de renforcer la mixité sociale à l’école, un fameux enjeu social et culturel mais, aussi, en appela à ses collègues : « Les professeurs doivent être conscients qu’ils sont porteurs à la fois d’une mission de transmission de connaissances et de pérennisation des valeurs de la République. »
• Le Monde (6 mars 2024)
« Trente-cinq ans de controverses sur la laïcité scolaire », titrait le quotidien qui consacra deux pages pleines en signalant que « l’interdiction des signes religieux ostensibles au sein de l’école publique, disposée par la
loi du 15 mars 2004, a déchiré le monde politique et intellectuel dès les premières affaires de ‘‘foulards islamiques’’. Son principe et ses modalités continuent de susciter de profondes divisions. »
Le journaliste Luc Cédelle rappela que l’école et la laïcité est un sujet qui ne quitte jamais totalement l’actualité, parfois en bruit de fond, parfois au plus haut de l’émotion collective.
Un sujet, précisa-t-il, qui met en jeu des passions renvoyant à ce que chacun considère comme essentiel dans son idée de l’école, et plus largement de la vie en société.
Professeur à l’université Paris-Nanterre, Ismail Ferhat déclara que « l’affaire du foulard de Creil – quand trois collégiennes refusèrent d’enlever leur foulard en invoquant des motifs religieux – révèle une
sédimentation de tendances politiques jusqu’alors peu visibles au sein de la Nation. »
Conclusion ? Pour notre confrère du Monde, les effets délétères du djihadisme viennent régulièrement accentuer la polarisation sur les questions de laïcité. Chaque attentat, depuis 2015, pousse une partie du monde politique à la surenchère et relance la figure de l’« ennemi intérieur », avec une répercussion sur le terrain scolaire.
L’assassinat de Samuel Paty, le 16 octobre 2020, impliquant indirectement certains élèves, et celui de Dominique Bernard, le 13 octobre 2023, commis par un ancien élève, ont semé une angoisse durable, même chez les plus chauds partisans d’une laïcité « ouverte ».
Désolidariser l’agenda terroriste et les enjeux de l’école est devenu impossible, conclut-il.