Bons et mauvais migrants

« Ils quittent un à un le pays pour s’en aller gagner leur vie loin de la terre où ils sont nés »

Jean FERRAT, la montagne

Les uns ont tout perdu dans une guerre, d’autres, opposants politiques dans des pays où leur vie est en danger fuient une dictature, d’autres encore, éblouis par les fastes de l’occident espèrent qu’on leur y offrira une vie meilleure, une vraie chance de réussite. Ils se voient déjà rentrer au pays cousus d’or et distribuant avec générosité le fruit de leur travail.

Ce qui devait être une quête de l’eldorado n’est pour la plupart qu’un mirage, pour ceux qui purent arriver vivants sur les rives italiennes ou grecques, ports d’entrée de l’Europe. Loin de cette vie meilleure à laquelle ils aspiraient et dont ils avaient tellement rêvé, c’est pour beaucoup la misère, la solitude et le froid qui sont devenus leur quotidien.

Mais avant que d’accoster, c’est un autre parcours du combattant qui les attendait. Souvent dépouillés de toutes leurs économies par des passeurs sans scrupules, entassés dans des embarcations de fortune parfois incapables d’en supporter le poids causant le naufrage et, dans le meilleur des cas, secours par des navires humanitaires. Une fois les pieds sur terre, certains sont pris en charge par des organisations, d’autres sont arrêtés et placés dans des centres fermés en attendant leur expulsion et pour quelques-uns leur titre de séjour tandis que d’autres encore entrent dans la clandestinité.

Pour ces derniers, ce sont les petits boulots sous-payés par des employeurs sans scrupules qui profitent de leur détresse et de l’absence de permis de travail pour les exploiter scandaleusement, ce sont les logements insalubres loués à des prix exorbitants par des marchands de sommeil, ce sont aussi de multiples tentatives de rejoindre l’Angleterre, au péril de leur vie, et c’est peut-être la délinquance, la rue, la mendicité aux mains de bandes organisées et violentes…

Si le centre d’accueil se trouve à ce qu’on appelle pompeusement le « petit château », c’est loin d’être une vie de seigneur qu’ils y mèneront et ce , malgré une directive européenne transposée dans notre arsenal juridique sous la forme d’une loi dite non sans une certaine ironie « accueil ».

Droits des demandeurs d’asile

La directive 2003/9/CE du Conseil du 27 janvier 2003 relative à des normes minimales pour l’accueil des demandeurs d’asile dans les États vise à garantir aux demandeurs d’asile un niveau de vie digne au sein de l’UE et le respect de leurs droits humains. Elle a pour but d’organiser un régime d’asile européen commun.

Aux termes de cette directive, les États européens sont tenus de leur ouvrir l’accès au logement, de leur fournir nourriture, habillement, allocations financières, soins médicaux et psychologiques.

Le droit à l’éducation doit être garanti pour les jeunes de moins de 18 ans tandis que les adultes doivent avoir accès au marché du travail endéans les 9 mois.

Outre une protection toute particulière pour les personnes vulnérables comme les mineurs non accompagnés ou les victimes de violences, le texte précise que les demandeurs ne doivent pas être placés en rétention au seul motif qu’ils demandent la protection internationale.

Liberté de circulation

Le principe est la liberté de circulation du demandeur que ce soit sur tout le territoire ou sur une zone déterminée par l’État d’accueil.

Le placement en rétention ne doit être utilisé qu’en dernier recours, sur la base d’une appréciation au cas par cas. Afin d’éviter des détentions arbitraires, la directive énumère de manière exhaustive les cas dans lesquels la détention peut être admise.

a) pour établir ou vérifier son identité ou sa nationalité;

b) pour déterminer les éléments sur lesquels se fonde la demande de protection internationale qui ne pourraient pas être obtenus sans un placement en rétention, en parti­culier lorsqu’il y a risque de fuite du demandeur;

c) pour statuer, dans le cadre d’une procédure, sur le droit du demandeur d’entrer sur le territoire;

d) lorsque le demandeur est placé en rétention dans le cadre d’une procédure de retour au titre de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (2), pour préparer le retour et/ou procéder à l’éloignement, et lorsque l’État membre concerné peut justifier sur la base de critères objectifs, tels que le fait que le demandeur a déjà eu la possibilité d’accéder à la procédure d’asile, qu’il existe des motifs raisonnables de penser que le demandeur a présenté la demande de protection internationale à seule fin de retarder ou d’empêcher l’exécution de la décision de retour;

e) lorsque la protection de la sécurité nationale ou de l’ordre public l’exige;

f) conformément à l’article 28 du règlement (UE) no604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant d’un pays tiers ou un apatride.

La détention ne peut avoir lieu que si aucune autre alternative comme l’obligation de se présenter de manière régulière aux autorités, le dépôt d’une garantie financière ou l’obligation de résider dans un endroit déterminé.

Lorsqu’elle est acceptée, la détention ne peut être que de courte durée. Les demandeurs placés en centres fermés doivent avoir accès à des espaces extérieurs. Ils ont aussi le droit de recevoir la visite de leur avocat et de leur famille.

Des abus ?

Il semble bien que oui. Dans certains pays, la pratique est tout à fait courante et supplante même tout autre forme « d’accueil ». C’est le cas à Malte où la détention, parfois très longue -jusqu’à 18 mois – et toujours dans des conditions indignes, est la règle.

La Belgique n’est pas en reste. L’office des étrangers n’hésite pas à enfermer les demandeurs dès leur arrivée sur le territoire. C’est le cas pour les personnes qui demandent protection lors de leur arrivée à l’aéroport de Zaventem et qui sont, pour la plupart, immédiatement envoyées en détention au centre 127bis.

Cet enfermement est incontestablement un frein à la réalisation d’un dossier bien constitué puisque, interdit de se rendre chez son avocat, le demandeur est soumis au bon vouloir de celui-ci de se déplacer, sachant que dans la plupart des cas, les avocats sont commis d’office et que tous n’ont pas la même motivation et la même disponibilité pour leur client.

Si la loi sur l’accueil des réfugiés ou demandeurs d’asile impose à la Belgique de les héberger et de leur fournir une assistance matérielle pour la durée de la procédure menant à l’octroi du précieux sésame ou au rejet de la demande, il arrive fréquemment que celle-ci soit ignorée, soit par manque de place soit par négligence.

Notre pays a donc été condamné à maintes reprises pour ne pas avoir respecté l’obligation qui lui est faite de fournir un hébergement à tous les demandeurs se trouvant sur le territoire national.

Ainsi la Cour européenne de Justice a fustigé la « carence systémique » des autorités belges en la matière après leur « refus caractérisé » de remplir leurs obligations à l’égard des demandeurs d’asile.

Selon que vous serez … Deux poids, deux mesures ?

Il y a manifestement une inégalité de traitement entre celui qui a été réservé aux Ukrainiens et les migrants en provenance d’autres régions du monde. Arrivés par dizaine de milliers et fuyant la guerre, les Ukrainiens ont bénéficié d’un traitement tout à fait particulier avec une prise en charge immédiate et la mise en place par le Conseil de l’Union européenne du statut de « protection temporaire », dispositif exceptionnel et jamais encore activé depuis sa création en 2001.

Il n’aura fallu que quelques jours pour que 24.000 places soient mises à leur disposition par les communes mais aussi par les particuliers, dans un grand élan de solidarité. (Bien qu’ils perçoivent des allocations financières de la part des autorités, leurs hébergeurs particuliers ne peuvent leur demander de contribuer aux frais engendrés par leur présence).

Ces mêmes citoyens au grand cœur avaient autrefois été condamnés par la justice pour avoir abrité des demandeurs d’asile. Une question de couleur de peau ?

On se réjouirait de cette grande empathie de la population si tous ceux qui fuient des guerres absurdes bénéficiaient du même traitement.

Ce n’est pas le cas pour toutes les guerres mais ce n’est pas non plus le cas pour tous ceux qui tentent de fuir le même confit. Les Non-Ukrainiens, parmi lesquels de nombreux étudiants africains et indiens, qui essayaient eux aussi de rejoindre des zones de paix ont subi des discriminations aux frontières, voire des violences de la part des gardes-frontière ukrainiens pour les empêcher de monter dans les trains et les bus à destination de la Pologne.

De même, le dispositif de « protection temporaire » n’est accordé qu’aux Ukrainiens, les résidents du pays d’autres nationalités ne peuvent en bénéficier.

L’exode des Ukrainiens fut, et c’est tant mieux, organisé tant en ce qui concerne leur transport que pour leur accueil dans les différents pays de l’Union. Pour eux, pas besoin de passeurs, de traversées sur des embarcations surchargées, pas de détention en centres fermés, rien qu’un accueil chaleureux de la part de l’État mais aussi des citoyens.

Pourquoi une telle différence de traitement ? Un être humain n’égale pas un autre ?

Le recours largement répandu à la détention des demandeurs d’asile en provenance de certains pays, essentiellement africains, montre clairement que les États occidentaux abordent de plus en plus la question de l’asile en termes de gestion des flux migratoires et de moins en moins en termes de protection des droits de l’Homme. Le demandeur d’asile n’est plus regardé comme un réfugié potentiel à protéger mais comme un migrant irrégulier dont il faut se protéger – sauf s’il vient d’Ukraine !

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