Cimetière en Méditerranée : Les politiques migratoires italiennes

La politique migratoire italienne sous leadership de Salvini et son prolongement par Méloni révèlent un enracinement de l’extrême droite et la xénophobie. Cette trajectoire n’est pourtant pas linéaire, Méloni suit un chemin bien plus ambivalent, parsemé de paradoxes.

Politique nataliste, attaques envers les droit LGBTQIA+, discours anti-IVG, suppression du revenu à la citoyenneté, non-respect des droits humains… Georgia Meloni accède au pouvoir le 22 octobre 2022, exactement un siècle après Mussolini[1]. Elle est la première femme à la tête du gouvernement italien. Elle y mène une politique jugée conservatrice, dure, populiste, et contradictoire.

Comme son prédécesseur, Matteo Salvini, Meloni a utilisé la lutte contre l’immigration comme l’un des piliers de sa campagne électorale. Elle promet de créer un « blocus naval » pour faire barrage aux migrants arrivant depuis les côtes italiennes. Cette tactique la place à son tour au centre du paysage médiatique, et renforce sa popularité. C’est ainsi qu’elle est parvenue à dédiaboliser le parti postfasciste dont elle est la cheffe depuis 2014, Fratelli d’Italia (Fdl).

Tant Salvini que Méloni sont réputé pour faire des polémiques lorsqu’il s’agit de migration. Salvini est comparu à deux reprises devant la justice sicilienne en 2019 pour des faits de séquestration, car il était accusé d’avoir bloqué illégalement en mer un bateau de migrant.e.s, en leurs refusant le débarquement.[2] En 2022, Méloni a refusé à son tour le débarquement de l’Ocean Viking, un bateau transportant 230 migrant.e.s[3].

Au-delà de ces scandales, les décisions politiques prises ont été particulièrement dures, et ont choqué à l’international. Dès novembre 2018, Salvini fait adopter un décret-loi anti-immigration[4]. Avec ce texte, les durées de séjours sont réduites, les expulsions sont facilitées et accélérées, les centres d’accueil fusionnent par souci économique, l’utilisation des pistolets électriques est généralisée lors des évacuations, et le pacte de l’ONU sur les migrations est rejeté.

Méloni continue de suivre le fil rouge politique de son prédécesseur, les possibilités d’action des ONG sont toujours limitées, un grand nombre de migrant.e.s sont renvoyé.e.s dans leurs pays d’origine malgré leurs difficultés psychologiques et physiques, ou le danger qu’iels encourent.

Rétrospective d’une politique d’externalisation

L’année 2023 a été marqué par un afflux de migrant.e.s particulièrement intense, puisque 150 000 personnes ont rejoint les côtes italiennes par la mer[5]. Ce phénomène a fortement diminué depuis, début 2024 le nombre d’arrivées est trois fois moins élève que l’an dernier[6]. Pour comprendre cet écart, il est nécessaire de revenir un an et demi en arrière.

Dès le mois de janvier 2023, le gouvernement Méloni s’attaque aux ONG, ce qui affecte significativement le sauvetage en mer[7]. En février, une soixantaine de migrants font naufrage près de Crotone, en Calabre[8]. Après ce drame, l’Union Européenne déclare vouloir « redoubler d’efforts » afin d’améliorer le droit à l’asile. L’Italie a décidé quant à elle adopté un décret visant à sanctionner davantage les passeurs, et à durcir les règles relatives au droit à l’asile. Depuis lors, le nombre de mort.e.s en mer à significativement augmenté.

Le 11 avril 2023, Méloni déclare l’état d’urgence migratoire pour 6 mois[9]. Pendant cette période, le gouvernement italien était libre de prendre des mesures d’exception sans avoir à obtenir l’aval du parlement. Cinq millions d’euros ont été débloqués[10]. Le premier objectif était de vider le centre d’accueil de Lampedusa, qui a été conçu pour héberger 400 personnes, mais il arrive qu’il en abrite jusqu’à 3000[11]. La Cour européenne des droits de l’Homme a plusieurs fois condamné l’Italie pour les conditions « inhumaines et dégradantes » infligées aux migrants au sein de ce centre.

En juin, la première ministre s’allie à Ursula Von Der Leyen, et l’accompagne à plusieurs reprises en Tunisie. Méloni semble vouloir jouer la médiatrice entre la Tunisie et l’Union Européenne, ce qui porte ses fruits, car un accord est signé le 16 juillet à Tunis[12]. Ce partenariat vise entre autres à lutter contre l’immigration illégale, en maintenant sur place les départs des migrant.e.s. Une aide de 105 millions d’euros est prévue pour y parvenir, ainsi qu’une aide budgétaire plus globale de 150 millions d’euros. Méloni à déclarer qu’il s’agissait « d’une nouvelle étape importante pour traiter la crise migratoire de façon intégrée ». L’accord a été vivement critiqué par certaines organisations telles qu’Amnesty International, qui dénonce les violations des droits humains, et la complicité de l’UE[13]. Avec ce partenariat, l’UE soutient effectivement la répression menée par le président Tunisien Kaïs Saïed, ainsi que les conditions de détention illégales des centres tunisiens.

Prêt à tout pour limiter les départs, le gouvernement Méloni a promis de débloquer plus de cinq milliards d’euros lors du sommet Italie-Afrique de début 2024[14]. Un accord avec l’Albanie a également été signé afin d’y déplacer chaque année plus de 30 000 migrant.e.s arrivé.e.s en Italie. Ici encore, Amnesty International à dénoncer les « conséquences dévastatrices » de cet accord qui expose les demandeurs.euses d’asile à des violations et détentions supplémentaires, ainsi que le caractère illégal des pratique de « refoulement »[15].

Des contradictions

L’Etat Italien continue donc de réprimer de plus en plus sévèrement l’immigration internationale, malgré les critiques des instances internationales. Cependant, l’Italie fait face à une chute démographique, et ne peut donc se passer des travailleur.euse.s immigré.e.s…[16]

La Confindustria a réclamé avoir besoin de plus de 800 000 travailleur.euse.s immigré.e.s pour exercer des métiers peu qualifiés au sein des entreprises. À la suite des pressions exercées par le patronat, Méloni a accepté 450 000 permis de séjour dans les trois ans[17]. Une mesure jugée paradoxale de la part d’un gouvernement dont le principal projet est de réduire l’immigration.

D’autre part, lorsqu’il s’agissait de l’accueil des Ukrainien.ne.s, l’Italie faisait partie des Etats Occidentaux qui se sont montrés particulièrement généreux. Là aussi cette réponse peut être jugée paradoxale, mais c’est surtout le « deux poids deux mesures » qui a été critiqué[18].

Si elle a déclaré lors de sa campagne : « Si je gagne l’Europe c’est terminé »[19], elle s’est depuis lors éloignée des discours eurosceptiques, elle assure « ne pas vouloir détruire l’UE »[20]. Elle défend une européanisation des questions liées à l’immigration, et elle s’est alliée à plusieurs personnalités phares de l’UE, tels qu’Ursula Von Der Layon ou Emmanuel Macron. Cependant, elle continue à défendre la Hongrie et la Pologne lorsqu’elles sont condamnés par la commission pour non-respect de l’Etat de droit.

Opportunisme et UE

Ces ambivalences lui donnent parfois l’image d’une dirigeante qui se contredit, mais cela traduit peut-être plutôt de l’attentisme politique. La quête opportuniste de Méloni lui fait déployer différentes casquettes. Celle de la cheffe de parti post-fasciste, lorsqu’elle mène une politique migratoire répressive et criminelle en niant les droits humains des demandeur.euse.s d’asile. Une seconde casquette d’oligarque, avec laquelle elle se met au service du patronat. Et d’autres encore pour les occasions politiques tant au sein de l’UE, que parmi ses opposants.e.s.

A l’approche des élections européennes, lorsque Méloni soutient l’UE, elle fait retentir un message fort, pendant que d’autres figures de l’extrême droite, tels que Viktor Orban ou Donald Tusk, refusent catégoriquement toute forme de « solidarité obligatoire ». Elle semble en fait se positionner comme médiatrice face à son propre camp politique, et celui de l’UE. Si les pays du sud de l’Europe, comme l’Espagne ou la Grèce, sont favorables à une meilleure répartition des demandeur.euse.s d’asile, les pays « rebonds », tels que la Belgique, ou les pays de l’Europe de l’Est, semblent y être plus hostiles[21]. Cette hostilité révèle le manque de solidarité avec les pays les plus exposés, ainsi qu’avec les demandeur.euse.s d’asile. L’alliance de l’UE à Méloni, en dit également beaucoup sur la place qui y est désormais donnée à l’extrême droite, et sur la banalisation des idéaux xénophobes. De récents sondages montrent l’ascension de l’extrême droite auprès des électeur.ice.s européen.ne.s[22]. L’Europe semble alors tendre la main à Méloni pour se murer en forteresse, toujours plus loin du respect des droits humains.

Notes

Afp, L. M. A. (2022, October 21). Italie : Giorgia Meloni, dirigeante du parti d’extrême droite Fratelli d’Italia, a présenté son futur gouvernement. Le Monde.fr. https://www.lemonde.fr/international/article/2022/10/21/italie-apres-son-succes-aux-legislatives-giorgia-meloni-se-prepare-a-devenir-presidente-du-conseil_6146785_3210.html ↑

Afp, L. M. A. (2021, 23 octobre). Matteo Salvini, ancien ministre de l’intérieur d’Italie, devant la justice. Le Monde.fr. https://www.lemonde.fr/international/article/2021/10/23/l-ancien-ministre-de-l-interieur-matteo-salvini-devant-la-justice-italienne_6099652_3210.html ↑

Roberts, H. (2022, 11 novembre). Meloni and Macron clash over migrants. POLITICO. https://www.politico.eu/article/giorgia-meloni-emmanuel-macron-italy-france-clash-migrant-ship-ocean-viking/ ↑

Rédaction, L. (2018, 29 novembre). Que contient le décret anti-immigration adopté en Italie ? InfoMigrants. https://www.infomigrants.net/fr/post/13655/que-contient-le-decret-antiimmigration-adopte-en-italie ↑

Franceinfo. (2024, 26 février). Italie : quel bilan pour la politique migratoire de Giorgia Meloni ? Franceinfo. https://www.francetvinfo.fr/monde/italie/italie-quel-bilan-pour-la-politique-migratoire-de-giorgia-meloni_6389353.html ↑

ibid ↑

Euronews. (2023, 27 février). Une soixantaine de migrants meurent dans un naufrage près des côtes italiennes. Euronews. https://fr.euronews.com/2023/02/27/une-soixantaine-de-migrants-meurent-dans-un-naufrage-pres-des-cotes-italiennes ↑

ibid ↑

Courrier International. (2023, 14 avril). “Comme s’il s’agissait d’un tremblement de terre”, l’Italie décrète l’état d’urgence migratoire. Courrier International. https://www.courrierinternational.com/article/politique-comme-s-il-s-agissait-d-un-tremblement-de-terre-l-italie-decrete-l-etat-d-urgence-migratoire ↑

Antonino Galofaro (correspondant à Rome) / Crédit photo : FABRIZIO VILLA / GETTY IMAGES EUROPE / GETTY IMAGES VIA AFP. (2023, 14 avril). Migrants : l’Italie déclare l’état d’urgence. Europe 1. https://www.europe1.fr/international/migrants-litalie-declare-letat-durgence-4177765 ↑

Pinna, M. (2023, 18 mai). L’Italie face à un afflux de migrants : le gouvernement Meloni et l’UE pointés du doigt. Euronews. https://fr.euronews.com/2023/05/18/l-italie-face-a-un-afflux-de-migrants-le-gouvernement-meloni-et-l-ue-pointes-du-doigt ↑

Avec AFP, F. (2023, 16 juillet). La Tunisie et l’Union européenne signent un « partenariat stratégique » sur l’économie et la politique migratoir. Franceinfo. https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/union-europeenne/la-tunisie-et-l-union-europeenne-signent-un-partenariat-strategique-sur-l-economie-et-la-politique-migratoire_5954060.html ↑

Amnesty International. (2023, 18 juillet). UE/Tunisie. L’accord sur les migrations rend l’UE complice des violations des droits infligées à des demandeurs·euses d’asile, migrant·e·s et réfugié·e·s. https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2023/07/eu-tunisia-agreement-on-migration-makes-eu-complicit-in-abuses-against-asylum-seekers-refugees-and-migrants/ ↑

Franceinfo. (2024b, février 26). Italie : quel bilan pour la politique migratoire de Giorgia Meloni ? Franceinfo. https://www.francetvinfo.fr/monde/italie/italie-quel-bilan-pour-la-politique-migratoire-de-giorgia-meloni_6389353.html ↑

BLAST, Le souffle de l’info. (2023, August 6). ITALIE : LES DIX PREMIERS MOIS DE L’EXTRÊME DROITE [Video]. YouTube. https://www.youtube.com/watch?v=hV3db_XIj-o ↑

Duvic, B. (2023, 21 décembre). Italie : le gouvernement de Giorgia Meloni ouvre 450 000 titres de séjour aux travailleurs étrangers. Franceinfo. https://www.francetvinfo.fr/societe/immigration/italie-le-gouvernement-de-giorgia-meloni-ouvre-450-000-titres-de-sejour-aux-travailleurs-etrangers_6257820.html ↑

Afp, S. (2023, 28 mars). Guerre en Ukraine : Amnesty dénonce « un deux poids, deux mesures » de l’Occident. Le Point. https://www.lepoint.fr/monde/guerre-en-ukraine-amnesty-denonce-un-deux-poids-deux-mesures-de-l-occident-28-03-2023-2513837_24.php#11 ↑

Tosseri, O. (2022a, septembre 6). En Italie, la droite met « l’intérêt national » à toutes les sauces. Les Echos. https://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/en-italie-la-droite-met-linteret-national-a-toutes-les-sauces-1785900 ↑

Tosseri, O. (2022, 26 septembre). Elections en Italie : le double langage de Giorgia Meloni sur l’Europe. Les Echos. https://www.lesechos.fr/monde/europe/elections-en-italie-le-double-langage-de-giorgia-meloni-sur-leurope-1850104 ↑

Monde, L. (2023, 18 septembre). Migrations : pas de vraies solutions sans l’Europe. Le Monde.fr. https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/09/18/migrations-pas-de-vraies-solutions-sans-l-europe_6189863_3232.html# ↑

Reynier, V. (2024, 19 mars). Élections européennes : un sondage exclusif donne la coalition pro-UE gagnante. Euronews. https://fr.euronews.com/2024/03/19/elections-europeennes-un-sondage-exclusif-donne-la-coalition-pro-ue-gagnante ↑

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