Femmes de détenu.e.s : l’ombre des barreaux, le poids des liens
La problématique des détenu.e.s et des répercussions sur leur entourage constitue un sujet souvent méconnu et sous-estimé. Parmi les proches, les femmes, qu’il s’agisse des mères, des grands-mères, des filles, des petites-filles, des sœurs, des tantes, des nièces ou des compagnes, occupent une place cruciale, mais souvent invisible. Ces femmes, considérées comme des victimes collatérales de l’incarcération, affrontent une réalité marquée par des luttes émotionnelles, psychologiques et économiques. Leur vécu est souvent exacerbé par la stigmatisation sociale et l’isolement, des éléments qui méritent d’être examinés avec soin. Cet article vise à mettre en lumière les défis que rencontrent ces femmes, tout en suscitant une prise de conscience sur les conséquences de l’incarcération, non seulement pour les détenu.e.s, mais également pour leurs proches, en particulier les femmes.
La réalité de l’incarcération
L’incarcération ne représente pas seulement une expérience individuelle, elle engendre des répercussions considérables sur l’ensemble du cercle familial1. Lorsque l’un de ses membres est incarcéré, la dynamique familiale subit une transformation profonde. Les femmes, souvent mères ou compagnes, doivent faire face à la douloureuse réalité de la séparation. Cette rupture, souvent synonyme de souffrance, de tristesse et de frustration, entraîne une perte qui ne se limite pas à l’absence physique de leur proche, mais englobe également des pertes émotionnelles, financières et sociales2.
Les femmes se retrouvent souvent isolées, éloignées de leurs partenaires, ce qui entraîne une détérioration des liens affectifs. Les visites en prison, qui sont fréquemment soumises à des contraintes de temps et de distance, se déroulent dans un climat d’anxiété et de tension. Pour nombre d’entre elles, ces visites sont des moments émotionnellement chargés, marqués par l’incertitude quant à l’état psychologique de leur proche. De plus, la stigmatisation sociale qui accompagne l’incarcération peut mener à un isolement des femmes, qu’elles soient mères, sœurs ou tantes, craignant le jugement de leur entourage. Ce stress lié à la séparation, allié à l’angoisse de ne pas savoir ce que vit leur proche en détention, peut nuire gravement à leur santé mentale. La dépression, l’anxiété et d’autres troubles psychologiques peuvent surgir, exacerbés par le sentiment de solitude et de désespoir3.
Les conséquences économiques
L’incarcération engendre également des conséquences économiques significatives pour les femmes de détenu.e.s. Elles se trouvent souvent confrontées à une augmentation des responsabilités financières, notamment en raison de la perte de revenus de leur partenaire. Les femmes doivent naviguer dans des situations de précarité économique, souvent exacerbées par le manque de ressources et d’options. La perte de revenus peut être catastrophique pour de nombreuses familles. Par exemple, des études révèlent que les femmes de détenu.e.s, qu’elles soient compagnes ou mères, peuvent voir leur niveau de vie se dégrader de manière drastique, souvent au point de devoir recourir à des aides sociales ou à des œuvres caritatives pour subvenir aux besoins fondamentaux4.
Les frais de communication avec les détenu.e.s, tels que les appels téléphoniques et les coûts associés aux visites, peuvent également s’avérer exorbitants. Les systèmes pénitentiaires appliquent des tarifs élevés pour ces services, plaçant ainsi une pression financière supplémentaire sur les femmes. Dans de nombreux cas, elles sont contraintes de sacrifier leur propre bien-être pour maintenir un lien avec leur partenaire, ce qui peut conduire à un cycle de dettes. Cette problématique a été mise en avant par Dubois et Bréaud (2019) dans une étude sociale qui souligne l’impact économique dévastateur sur les proches des détenu.e.s, souvent occulté dans les débats sur la justice pénale5.
Le poids des liens familiaux
Les femmes de détenu.e.s portent souvent le poids de la responsabilité de maintenir le lien avec leur partenaire tout en jonglant avec leurs responsabilités quotidiennes. Cela peut constituer une source de fierté, mais également de stress immense. Pour celles qui sont mères, la gestion des responsabilités parentales devient d’autant plus complexe. Elles doivent non seulement répondre aux besoins émotionnels et matériels de leurs enfants, mais aussi gérer la dynamique familiale perturbée par l’absence du parent incarcéré. Les femmes, qu’elles soient compagnes, sœurs ou tantes, doivent naviguer dans ces difficultés tout en tentant de préserver un environnement stable et sécurisant6.
Malgré ces défis, nombre de femmes de détenu.e.s font preuve d’une résilience remarquable. Elles découvrent des moyens créatifs de maintenir le lien avec leur partenaire, que ce soit par le biais de lettres, d’appels téléphoniques ou de visites. Certaines s’engagent également dans des groupes de soutien, où elles peuvent partager leurs expériences et trouver un réconfort mutuel7. La solidarité entre ces femmes, qu’elles soient mères, sœurs ou compagnes, peut constituer une source de force, leur permettant de faire face à la stigmatisation et aux difficultés quotidiennes.
La stigmatisation et le besoin de soutien
La stigmatisation associée à l’incarcération peut s’avérer dévastatrice pour les femmes de détenu.e.s. Elles sont souvent jugées non seulement pour leurs choix, mais également pour les actions de leur partenaire. Le jugement social peut revêtir de multiples formes, allant de la méfiance à l’exclusion. Ces femmes, qu’elles soient mères, filles ou sœurs, peuvent ressentir un profond rejet de la part de leur communauté, ce qui accentue leur isolement. Cette stigmatisation peut également nuire à leur estime de soi et à leur bien-être mental, les empêchant de chercher de l’aide ou de bénéficier de soutien.
Il est donc impératif de mettre en place des programmes de soutien spécifiques destinés aux femmes de détenu.e.s. Ces programmes peuvent inclure des groupes de soutien, des services de counseling et des ressources éducatives afin d’aider ces femmes à surmonter les défis émotionnels et économiques liés à l’incarcération de leur partenaire. En leur offrant un espace sûr pour partager leurs expériences, on peut atténuer le poids de l’isolement et renforcer leur résilience. Les Règles de Bangkok pour la prise en charge des femmes détenues, soulignent l’importance de tels programmes pour soutenir les femmes en détention et leurs familles8. Les gouvernements, les ONG et les associations doivent collaborer afin de développer des initiatives adaptées à ces femmes, leur offrant le soutien indispensable dont elles ont besoin.
Réinsertion et avenir
L’incarcération ne prend pas fin avec la libération. La réinsertion d’un détenu.e dans la société pose des défis singuliers qui peuvent également avoir un impact sur les femmes. Le processus de réintégration peut s’avérer ardu, tant pour le détenu.e que pour son entourage. Les femmes peuvent ressentir une ambivalence face au retour de leur partenaire, oscillant entre le désir de renouer des liens et la crainte des comportements passés. La réinsertion est souvent ponctuée de défis relatifs à l’emploi, au logement et à la stigmatisation, et les femmes peuvent se sentir accablées par la responsabilité d’aider leur partenaire à se réadapter9.
Les femmes jouent un rôle déterminant dans la réinsertion de leurs partenaires. Leur soutien peut s’avérer être un facteur essentiel pour assurer la réussite de cette transition. Cependant, cela nécessite des ressources et un soutien adéquats, afin que ces femmes puissent gérer leur propre santé mentale et leurs besoins émotionnels tout en apportant leur aide à leur partenaire. Selon la Loi du 12 janvier 2005 relative à l’aménagement des peines et à la libération conditionnelle, il est crucial d’encadrer les détenu.e.s pour garantir leur réinsertion, mais il est tout aussi impératif de tenir compte de l’impact que cela a sur leurs familles10.
Conclusion
Les femmes de détenu.e.s sont souvent confrontées à des défis colossaux, naviguant dans un monde marqué par la stigmatisation, l’isolement et des difficultés économiques. Néanmoins, elles font preuve d’une résilience remarquable, cherchant à maintenir des liens avec leurs partenaires tout en jonglant avec leurs propres responsabilités. Il est fondamental de reconnaître et de soutenir ces femmes, non seulement pour leur propre bien-être, mais également pour le bien-être de leurs familles et de la société dans son ensemble. En abordant ces enjeux, nous pouvons commencer à saisir l’impact plus large de l’incarcération et œuvrer vers un avenir où les femmes de détenu.e.s ne sont plus des voix silencieuses, mais des agents de changement et de résilience.
Références
1. https://shs.cairn.info/revue-sciences-et-actions-sociales-2020-1-page-82?lang=fr
2. https://www.prison-insider.com/articles/unis-vers-dehors
3. https://www.legranier.com/sites/default/files/201910/Synthese%20Enquete%20Etat%20des%20lieux%20Familles%202017.pdf
4. https://journals.openedition.org/champpenal/8759
5. https://oip.org/temoignage/les-femmes-de-taulards-sorganisent/
6. https://archives.vivre-ensemble.be/SORTIE-DE-PRISON-Difficile
7. Amadieu, L., Femmes en prison : des réalités à l’expérience. Éditions L’Harmattan, 2016
8. Dubois, V. & Bréaud, J., L’impact de la prison sur les familles : études de cas. Journal des sciences humaines, 2019, pp.221-234
9. Règles de Bangkok pour la prise en charge des femmes détenues (2010) adoptées par les Nations Unies
10. Loi du 12/01/2005
Auteur/autrice
Noémie Ayaya
09/12/2024
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