Femmes et handicap: l’injustice d’une double discrimination

L’Organisation mondiale de la santé évalue à 15 % le pourcentage de la population mondiale vivant avec un handicap, ce qui signifie que 1,3 milliard de personnes – soit 1 personne sur 6 – sont atteintes d’un handicap important. [1] Quand on parle de personne en situation de handicap, on ne différencie généralement pas homme et femme. Les deux vivent-ils les mêmes réalités ou est-ce que cela change quelque chose d’être une femme présentant un handicap plutôt qu’un homme? Le concept d’intersectionnalité permet de poser le cadre de la réflexion et de répondre à cette question. L’intersectionnalité est à la mode depuis près de 10 ans. Aujourd’hui, dans les études féministes, il est devenu inimaginable de parler de genre sans le faire de manière intersectionnelle. Pourtant, ce terme reste complexe et on ne sait pas toujours ce qui se place derrière. Donc oui, être une femme handicapée ce n’est pas pareil qu’être un homme en situation de handicap.

L’intersectionnalité, qui est un concept issu de la sociologie, a été introduite pour la première fois en 1994 par Kimberlé W. Crenshaw, une juriste et chercheuse américaine et figure majeure de la Critical Race Theory. À travers sa théorie, elle avance que les femmes noires ont une identité intersectionnelle, combinant les systèmes de domination du sexisme en raison de leur genre et du racisme en raison de leur couleur de peau. Cette double subordination sociale place les femmes noires dans une position particulièrement complexe et difficile. [2]

Après son introduction par Kimberlé Crenshaw dans le contexte de l’expérience des femmes noires, le concept d’intersectionnalité a été progressivement étendu pour englober toutes les formes de discrimination et d’oppression basées sur l’identité. Cette expansion découle principalement de deux facteurs.

L’intersectionnalité reconnaît que les individus ont des identités multiples et interconnectées, telles que le genre, la race, la classe sociale, l’orientation sexuelle, la religion, le handicap, etc. Ces différentes identités peuvent se chevaucher et interagir de manière complexe pour influencer les expériences et les traitements sociaux des individus.

En étendant l’intersectionnalité à toutes les formes de discrimination, on reconnaît que les systèmes de domination ne fonctionnent pas de manière isolée, mais interagissent de manière interdépendante et cumulative. Dans cet article, nous avons choisi de nous concentrer sur le vécu des femmes en situation de handicap.

Pour réaliser cette analyse, commençons par définir ce que l’on entend par femme et par personne en situation de handicap.

Le dictionnaire Robert en ligne définit : “Une femme est un “ Être humain de sexe féminin”. Une définition qui n’est pas inclusive puisqu’elle ne prend pas en compte la réalité des femmes trans. L’Académie Française dans sa dernière version définit la femme comme un Être humain défini par ses caractères sexuels, qui lui permettent de concevoir et de mettre au monde des enfants. Pas plus inclusive en termes de transidentité et cette définition réduit la femme à son rôle de procréation. [3]

Qu’est-ce qu’un handicap? Ce concept qu’on comprend théoriquement tous et toutes n’est pourtant vraiment pas simple à définir. Nous utiliserons la définition suivante “limitation d’activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d’une altération substantielle, durable ou définitive d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d’un polyhandicap ou d’un trouble de santé invalidant. »

En ne différenciant pas homme et femme, on invisibilise tout particulièrement les femmes. Tout comme lorsque l’on étudie les inégalités vécues par les femmes, on oublie généralement de parler des femmes en situation de handicap. Le handicap va neutraliser les attentes de genre: les femmes handicapées ne sont pas perçues comme de “vraies” femmes. [4]

Etre une femme et être en situation de handicap impliquent donc de potentiellement faire face à une multitude de discriminations, de violences et d’oppressions à la fois validistes et sexistes. Ces formes de discriminations sont souvent tissées de manière subtile et interconnectée, créant un réseau complexe d’injustices qui affectent de manière significative la vie des personnes qui vivent ces réalités. Il est crucial de reconnaître et de comprendre ce phénomène pour élaborer des solutions inclusives et véritablement équitables qui répondent aux besoins complexes et spécifiques des femmes en situation de handicap.

La Convention des Nations Unies relative aux Droits des Personnes Handicapées indique que « les femmes et les filles handicapées courent souvent, dans leur famille comme à l’extérieur, des risques plus élevés de violence, d’atteinte à l’intégrité physique, d’abus, de délaissement ou de défaut de soins, de maltraitance ou d’exploitation ». [5]

Le lien entre handicap et questions de genre a vu le jour avec les “feminist disability studies” qui se sont développés aux Etats-Unis à partir des travaux de Rosemarie Garland-Thomson. Dans les stéréotypes, la femme handicapée est généralement perçues comme asexuelle, incapable de se reproduire, non attirante. Elle est considérée comme doublement passive: parce que femme et handicapée. [6]

Des études réalisées mettent en avant les inégalités d’accès des femmes handicapées à l’éducation, au travail, au transport, à la santé et au logement, ainsi qu’à la participation politique.

L’accès aux transports et à l’espace public revient souvent dans les enquêtes sur les freins à la mobilisation de la parole des femmes handicapées. L’accès au transport sera probablement aussi compliqué pour un homme mais l’espace public est de base un espace occupé par les hommes. Le handicap rend son accès encore plus compliqué voire quasi impossible.

La précarité

Il y a 10 % de femmes handicapées qui vivent en dessous du seuil de pauvreté.

Cette précarité s’explique en partie car les femmes en situation de handicap sont moins nombreuses que les hommes à travailler. Elles risquent également davantage que les femmes valides d’accéder à un emploi à temps partiel ou de niveau inférieur, moins bien payé.[7]

Les conséquences des handicaps sur les ressources financières des personnes en situation de handicap sont manifestes, créant ainsi une dynamique où la précarité économique accentue leur dépendance. Cette précarité restreint non seulement leur liberté et leurs choix de vie, mais elle influe également sur leur pouvoir en tant que citoyens. En effet, la situation économique difficile des personnes handicapées peut entraîner un cercle vicieux où la dépendance accrue limite leurs options et leur participation active dans la société. Lorsqu’une femme en situation de handicap moteur ou mental se retrouve sans domicile fixe, la situation est encore plus complexe : les centres ne sont pas accessibles et la vie dans la rue ???. Il existe des projets qui aident ces femmes à se réinsérer :??? est un projet d’occupation temporaire de logements sociaux vides à Evere qui est utilisé pour reloger des femmes sans-abris qui présentent un handicap mental ou physique ou encore une addiction. [8]

La violence

La précarité et la violence vécue par les femmes en situation de handicap sont des choses

dont on ne mesure pas toujours l’ampleur.

En Europe, des études démontrent que 80 % des femmes, adolescentes et filles en situation de handicap sont victimes de violences. Elles ont quatre fois plus de “chances” de subir des violences sexuelles que des hommes en situation de handicap. Vivre en institution ne protège pas ces femmes, bien au contraire: 80 % des femmes qui sont hébergées en institution seraient exposées à des violences perpétrées par les personnes qui les entourent (professionnels de la santé, personnel aidant/soignant, familles et entourage, autres personnes en situation de handicap, etc.). Les auteurs de ces violences sont, dans la plupart des cas, des hommes (CFFB, 2018). Cette violence, les femmes ne peuvent pas l’éviter puisqu’elle est perpétrée par des gens qui sont censées vouloir leur bien.[9]

La violence peut être réalisée par un médecin. De nombreuses femmes en Belgique ont été stérilisées sans avoir la possibilité de donner leur avis pourtant, la stérilisation ne peut jamais être imposée. Il faut que la femme soit en mesure de comprendre ce qu’est la stérilisation et donner son consentement. [10]

La sexualité

La sexualité des personnes handicapées représente encore un tabou. Pourtant, il ne devrait y avoir là, rien de tabou.

Des études ont été menées sur la sexualité et le handicap. Ces recherches ont davantage concerné les hommes et quand ils font allusion aux femmes, on s’intéresse à l’assistante sexuelle qui vient aider l’homme à avoir une sexualité. La femme handicapée reste dans les stéréotypes une personne asexuée et on ne la perçoit pas comme l’accompagnée par l’assistante sexuelle.

Dominique Masson souligne que les normes restrictives de beauté corporelle sont déjà oppressives dans notre société pour les femmes sans incapacités, mais pour les femmes en situation de handicap avec un corps qui ne correspond pas à ces normes ???envoie un message encore plus puissant. Ce message proclame l’impossibilité pour ces femmes d’être considérées comme désirables, et par extension, d’être perçues comme des sujets de désir et de plaisir. [11] Pourtant, nous l’avons vu précédemment que ces femmes sont abusées.[12]

Les femmes et les jeunes filles en situation de handicap constituent l’un des groupes les plus vulnérables de notre société. Puisqu’elles subissent un grand nombre de discriminations. Face aux discriminations, à l’invisibilisation et l’infantilisation que subissent les personnes en situation de handicap, ???

Pour conclure, en utilisant le prisme de l’intersectionnalité, nous avons exploré la complexité des expériences de ces femmes, confrontées à la fois aux préjugés sexistes et aux obstacles liés au handicap.

À travers l’analyse des inégalités d’accès à l’éducation, à l’emploi, à la santé, ainsi qu’aux violences et à la précarité économique, il est clair que les femmes en situation de handicap sont confrontées à des défis et souvent invisibilisées par les discours dominants.

La violence, notamment sexuelle, est une réalité alarmante pour ces femmes, qui sont souvent victimes d’abus au sein des institutions censées les protéger. De plus, les normes restrictives de beauté corporelle exacerbent leur marginalisation en les dépeignant comme non désirables et incapables de vivre une sexualité épanouie.

Enfin, l’accès à la parentalité est lui aussi conditionné par le handicap, malgré le droit universel à l’épanouissement. Il est impératif de reconnaître et de combattre ces formes d’injustice pour garantir l’égalité des droits et des opportunités pour toutes les femmes, quel que soit leur handicap.

  1. Handicap et santé, informations consultées le 25 janvier 2024 sur le site https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/disability-and-health
  2. B. JANSSEN, Intersectionnalité : De la théorie à la pratique, novembre 2017, p.2 https://www.cepag.be/sites/default/files/publications/analyse_cepag_-_nov._2017_-_intersectionnalite.pdf
  3. Définition du mot “femme ‘ consulté sur le site de l’Académie française https://www.dictionnaire-academie.fr/article/A9F0437
  4. L. BERENI, Introduction aux études sur le genre,p.364.
  5. Informations consultées le 23 janvier 20244 sur le site https://www.ohchr.org/fr/instruments-mechanisms/instruments/convention-rights-persons-disabilities
  6. L. BERENI, Introduction aux études sur le genre,p.363.
  7. Informations consultées le 04 février 2024 sur le site https://www.handinorme.com/accessibilite-handicap/233-femmes-et-handicap-de-nombreuses-discriminations-subsistent
  8. Informations consultées le 04 février 2024 sur le site https://communa.be/coordination-sociocomm-sorocite/
  9. Informations consultées le 25/01/2024 sur le site https://www.autonomia.org/projet/stopviolencesfemmesethandicap#:~:text=34%25%20des%20femmes%20handicap%C3%A9es%20ont,27%25%20des%20femmes%20dites%20valides.
  10. Perséphone ASBL, Violence à l’égard de femmes handicapées, Mai 2008
  11. D. Masson, Femmes et handicap. Recherches féministes, 2013, 26(1), 111–129. https://doi.org/10.7202/1016899ar
  12. D. Masson, Femmes et handicap. Recherches féministes, 2013, 26(1), 111–129. https://doi.org/10.7202/1016899ar
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