Séparation des Églises et de l’État, info et propagande

En France, la séparation des Églises et de l’État est claire et nette, puisqu’elle est consignée dans la loi de 1905.

En Belgique, pays des compromis en tous genres, le concept d’impartialité est flou et certains politiciens en usent et en abusent allègrement. D’où, trop souvent, un usage sans vergogne du prosélytisme et du passage de l’information à la propagande[1].

Le principe de la séparation entre le religieux et l’État date de plusieurs siècles. C’est dire combien il est clivant.

Spinoza (1632-1677)[2], philosophe qui, avec Descartes et Leibnitz, fut l’un des principaux représentants du rationalisme influençant considérablement un nombre de penseurs, fut catégorique à ce sujet :

« Il faut faire en sorte que les affaires de l’État soient traitées indépendamment des options religieuses et philosophiques (…)

La liberté de conscience et de culte est le corollaire de la laïcisation du droit et la condition de la paix intérieure de la communauté publique (…)

Si la raison, la morale et l’intérêt public condamnent un pouvoir, c’est aux citoyens de régler la question politiquement, non aux Églises à fanatiser leurs fidèles. »

L’État ?[3] Il désigne une personne morale de droit public qui, sur le plan juridique représente une collectivité, un peuple, une nation, à l’intérieur ou à l’extérieur d’un territoire déterminé sur lequel elle exerce le pouvoir suprême.

L’État, soit l’ensemble des institutions et des services qui permettent d’administrer un pays, y est aussi désigné comme la forme la plus élaborée de la vie commune d’une société humaine.

Cette définition est, bien entendu, valable pour tout pays prétendument démocratique.

En revanche, la différence fondamentale entre la France et la Belgique est la loi de 1905 qui, dans l’Hexagone, a comme premier principe[4] la liberté de conscience avec pour corollaire la liberté religieuse, ensuite, comme deuxième principe, l’établissement de la séparation des Églises et de l’État. Ce dernier se voulant neutre, alors qu’il n’y a plus de religion légalement consacrée comme autrefois.

Toutefois, le 7 décembre 2023, on vit le grand rabbin de France, Haïm Korsia, avec à ses côtés le président Emmanuel Macron, allumer une bougie à l’occasion de l’Hanoukka, fête religieuse juive célébrée au sein du palais de l’Élysée : ce fut une fameuse levée de boucliers de la part du monde laïque et de très nombreux citoyens, d’autant plus que cela se déroulait l’avant-veille de l’anniversaire (le 118e) de la loi de 1905 !

La vigilance est donc de rigueur et elle est appliquée à la lettre dans l’Hexagone.

En Belgique, c’est le mantra récurrent du « ça a toujours été comme ça », voire de l’omerta.

Inutile de dire qu’il y a donc un gouffre qui sépare la notion d’un État français laïque à celle de la pseudo-neutralité de l’État belge :

« En Belgique, (…) ni le Constituant ni le législateur – et encore moins le pouvoir exécutif – n’ont tiré toutes les conséquences du principe de la séparation des Églises et de l’État. La présence des symboles religieux dans des édifices publics, le rang protocolaire des chefs de culte, les cérémonies religieuses organisées ou inspirées par les pouvoirs publics, etc., sont autant de signes extérieurs de cet état de fait. »[5]

Il suffit de voir les politiciens présents en tant que tels lors de Te Deum ou autres cérémonies religieuses, la subsidiation de l’enseignement catholique, etc.

« La laïcité en danger »[6]

Dès la fondation de l’État belge, les laïques durent combattre le cléricalisme catholique afin d’arracher laborieusement des progrès essentiels du combat de la laïcité : sécularisation (passage du domaine du sacré dans le domaine profane, retour à la vie laïque) des cimetières, funérailles laïques, obligation scolaire, mixité de l’enseignement, suffrage universel, loi sur la crémation, enseignement officiel, cours de morale, vote des femmes, planning familial, assistance morale laïque, émissions laïques à la RTBF, lois dépénalisant l’IVG, euthanasie…, lisait-on dans Solidarité, publication qui, plus que jamais, reste d’actualité.

« (…) Aujourd’hui, tous ces acquis sont remis en cause ! L’école officielle ne cesse de perdre des effectifs au profit de l’école confessionnelle, le statut de la femme est mis en cause par l’influence de l’Opus Dei au sein de l’Union européenne et par l’émergence du fondamentalisme musulman dans notre société, même les Droits de l’Homme sont remis en question !

(…) Il y a donc urgence à se mobiliser davantage pour ce combat jamais inachevé ! »

L’affaissement démocratique n’est pas une fatalité, tel était le thème d’une conférence publique à Paris fin 2023[7], où un intervenant déclara : « C’est le relâchement du lien entre les citoyens et les élus qui est une caractéristique visible de cet affaissement plus qu’un désintérêt pour la vie de la cité. »

Donc, cette situation dans la société signifie qu’il faut prêter attention à la façon dont les personnes concernées agissent et s’organisent et il est forcément légitime que les autorités représentatives de l’État se soucient du fonctionnement des Églises dans le domaine public.[8]

Cependant, la neutralité qui doit guider ce contrôle ne peut certainement pas se transformer en une propagande (avérée ou déguisée) pour telle ou telle religion, quand bien même la personne représentant l’autorité de l’État a des convictions religieuses, sans quoi cela s’apparenterait à une forme de prosélytisme.

« La Constitution belge n’a pas érigé l’État belge en un État laïque. Les notions de laïcité, conception philosophique parmi d’autres, et de neutralité sont distinctes (…).

Dans un État de droit démocratique l’autorité se doit d’être neutre, parce qu’elle est l’autorité de tous les citoyens et pour tous les citoyens et qu’elle doit, en principe, les traiter de manière égale sans discrimination basée sur leur religion, leur conviction ou leur préférence pour une communauté ou un parti. Pour ce motif, on peut dès lors attendre des agents des pouvoirs publics que, dans l’exercice de leurs fonctions, ils observent strictement, à l’égard des citoyens, les principes de neutralité et d’égalité des usagers. »[9]

À ce sujet, comment faut-il apprécier la déclaration[10] faite par Jean-Marc Nollet, coprésident d’Ecolo, au lendemain du vote par le conseil communal d’Anderlecht d’autoriser le port des signes conventionnels dans l’administration, lorsqu’il se dit favorable à l’introduction de la neutralité et de l’impartialité dans la Constitution belge ?

Le fond de la question

Même si je suis farouchement attaché au principe de la liberté d’expression[11], il est patent que celle-ci ne peut pas être l’occasion d’un basculement d’une opinion personnelle ou d’une croyance tout aussi personnelle dans la gestion d’un mandat public lorsque cela fait référence à une institution qui n’est pas du tout, selon moi, un modèle de démocratie, l’Église catholique dans ce cas-ci.

Marc Uyttendaele, constitutionnaliste, a publié un ouvrage[12] qui met en exergue le fait que toutes les religions sont potentiellement liberticides et portent atteinte à l’égalité entre les femmes et les hommes, que l’Église catholique réserve la fonction de ministre du culte aux seuls hommes et que tout le monde vit avec ça dans une sorte d’indifférence.

Il y indique que les impôts servent même à financer une institution qui exclut les femmes, ce qui est contraire à toutes les valeurs humanistes et à la philosophie des Lumières.

Il y précise que la racine première de l’inégalité n’est pas dans la loi étatique mais dans la loi religieuse et qu’il attend toujours qu’on ait un débat juridique là-dessus : est-ce qu’on peut financer des organismes qui ne respectent pas l’égalité entre les femmes et les hommes ?

Poser la question est y répondre.

De surcroît, faut-il rappeler que l’Église catholique contrevient à certaines lois édictées par l’État : homosexualité, contraception, interruption volontaire de grossesse et euthanasie sont proscrites de manière radicale par le Vatican.

Cela fait partie des nombreux dogmes (règles ou théories établies ou regardées comme des vérités fondamentales, incontestables) ou dans les bulles papales (importants documents officiels des papes) qui gèrent le catholicisme.

Ceci est un nouvel argument afin que tous les élus laissent les religions (et leurs satellites) dans le domaine strictement privé.

Notons, malgré cela, que « le Vatican ne se sent pas tenu par les délibérations citoyennes ou autres souverainetés démocratiquement instituées, (…) le catholicisme est une multinationale de la charité et une dictature de la sollicitude qui refuse qu’on mette des limites à sa pensée et à son prosélytisme », écrivit Luc Le Vaillant dans Libération[13] au lendemain de la visite papale en France.

Quant à Pierre Kroll, dessinateur de presse, caricaturiste et chroniqueur (RTBF, TV5 Monde, Le Soir), il déclara que l’état des lieux de l’Église refusant de laver son linge sale (et pédocriminel) en public lui était choquant.[14]

Soulignons, aussi, que, selon Pierre Bayle (1647-1706), philosophe, « s’il fallait créer une société à partir de rien, les athées la rendraient plus stable et harmonieuse que les catholiques puisqu’ils ne créeraient jamais de troubles et de dissensions pour des motifs religieux. »

À ce sujet, il n’est pas vain de lire les propos de Richard Malka, avocat de Charlie Hebdo[15] : « Plaider, c’est nommer la cause, clairement, sans circonvolutions. Si on ne nomme pas, on ne peut pas raisonner, si l’on ne pose pas le diagnostic d’une maladie on n’a aucune chance d’y trouver un remède.

(…) Quelle est cette cause qui a tant tué depuis des siècles ? lança-t-il le 17 octobre 2022 dans la salle Voltaire de la cour d’assises spéciale de Paris en appel du procès des attentats islamiques de janvier 2015.

Il faut bien finir par la désigner, la regarder en face : c’est la religion.

(…) Plus on sacralise les croyances, moins on respecte les êtres humains et, pas à pas, on chemine vers l’obscurité.

Ne pas oser dénoncer la toute-puissance d’un Dieu qui écrase les êtres humains à travers la férule du fanatisme religieux, c’est les abandonner à leur malheur, celui où la liberté d’expression est considérée comme un blasphème. Or, cette liberté est l’arme la plus redoutable pour contrer le fanatisme. »

Et puis, il faut bien y revenir, il y a toutes les casseroles, les multiples scandales, les ignobles atteintes aux droits humains qui parsèment l’histoire des religions, plus particulièrement l’islam qui véhicule certaines sourates en appelant à attaquer, voire tuer les infidèles, de faire de grands carnages, de combattre les Juifs… (9, verset 123 ; 9, verset 5 ; 47, verset 4 ; hadith ou parole du Prophète) et l’Église catholique avec la terrifiante Inquisition, les missions, la pédophilie et des sévices innommables comme le montra Marco Bellochio[16], réalisateur de L’enlèvement, un film racontant l’incroyable histoire vraie d’Edgardo Mortara, enfant juif de 7 ans enlevé à sa famille sur les ordres du pape Pie IX qui prétendait vouloir lui donner une éducation catholique :

« C’est un film contre l’obscurantisme, contre l’intolérance dans la religion (…) Il y a des principes qui doivent être absolument respectés. On peut évoquer la découverte récente au Canada de ce cimetière où sont enterrés des enfants autochtones victimes de la christianisation, qui ont été éliminés en son nom… »

Et puis, à la veille de Noël 2023, l’info qui « tue » :

« En Belgique, quelque 30 000 enfants ont été vendus à des parents adoptifs par l’Église catholique à l’insu de leur mère durant plus de trente ans (fin de la Seconde Guerre mondiale et années 1980). Prix par nourrisson : de 10 000 à 30 000 francs belges (250 à 750 euros) …

Dans certains foyers, les femmes enceintes étaient victimes d’abus sexuels, des femmes enceintes non mariées étaient humiliées par des religieuses… »[17] et « Des centaines de milliers de bébés volés dans le monde par l’Église catholique… qui s’est excusée. »[18]

En partenariat avec les religieux

La question de la séparation des Églises et de l’État apparaît, exemple parmi d’autres en Belgique, dans la commune de Woluwe-Saint-Pierre[19] du bourgmestre Benoît Cerexhe, « Les Engagés », classé au centre droit de l’échiquier politique.

« En France, aux Pays-Bas, comme ailleurs en Europe, le centre droit adopte les thèmes de l’extrême droite. Le Parti populaire européen (dont fait partie le parti belge des « Engagés »), qui rassemble au sein de l’Union les partis de cette sensibilité, copie le programme des formations les plus radicales.

(…) En reprenant les thèmes de son concurrent direct, le centre droit n’a cessé de perdre du terrain. On a pu le voir lors de différentes élections (France, Suède, Pays-Bas…)

(…) Toutefois, ce rapprochement ne signifie pas que le centre droit et l’extrême droite soit identiques », selon Cas Mudde, professeur d’affaires internationales à l’université de Géorgie (États-Unis) et au Centre de recherche sur l’extrémisme à l’université d’Oslo.[20]

Diplômé du Collège de jésuites Saint-Michel d’Etterbeek et de l’Université Catholique de Louvain, avocat de profession, Benoît Cerexhe fut conseiller et échevin communal, député et ministre de la Région de Bruxelles-Capitale.

Pourquoi évoquer cet exemple précis ? Parce que, comme le spécifie Muriel Hanot, secrétaire générale du Conseil de Déontologie journalistique (CDJ)[21], la pratique journalistique est balisée par une série de principes, dont la recherche et le respect de la vérité, alors que la déontologie journalistique « concerne le contrôle exercé sur les pouvoirs qui composent la société et son devoir d’informer. »

L’opinion du journaliste est légitime, ajoute-t-elle, mais elle doit reposer sur des faits avérés. Ce qui est le cas dans le présent reportage.

Et encore, ces propos de Natacha Polony, rédactrice en chef de Marianne : « Affronter toutes les questions que se posent légitimement les citoyens pourrait permettre aux journalistes de retrouver le sens de leur métier : décrire le réel dans un souci d’honnêteté intellectuelle, inscrire les faits dans un contexte, faire émerger cette part du réel qui passe trop souvent inaperçue, s’attaquer aux évidences, dévoiler aux citoyens les mécanismes qui expliquent que la démocratie soit contournée par ce que l’on peut désormais appeler une oligarchie. »[22]

Une autre raison réside dans le rôle de lobbyiste joué, consciemment ou non, par cet élu en faveur de l’Église catholique à l’heure où le mouvement de décatholicisation engagé dans les années 1970 s’approfondit.

« Le catholicisme se trouve dans une situation extrêmement critique puisque seuls 18% des jeunes déclarent y être affiliés contre 90% dans les années 1950 », selon les historiens Charles Mercier et Philippe Portier[23], qui ajoutent qu’« une majorité de jeunes voit de manière favorable le recul du religieux dans la société française », et qu’ils disposent d’études à l’échelle européenne allant dans le même sens.

Ainsi, pour Caroline Sägesser, experte des religions et de la laïcité au CRISP (Centre de recherche et d’information socio-politiques)[24], s’appuyant sur les données de la Conférence épiscopale belge recensant les sacrements administrés annuellement, on possède des chiffres qui témoignent d’une forte sécularisation puisqu’en 2021, il n’y avait plus que 31% des nouveau-nés qui étaient baptisés (pour ± 85% en 1977[25]), qu’un mariage civil sur dix qui était suivi d’une célébration catholique (± 78% en 1977), et seulement ± 2,5% de la population qui se rendait encore à la messe (± 30% en 1977).

L’Église catholique belge reconnait donc ne pas échapper à ce phénomène de démobilisation, d’où une attitude de prosélytisme tous azimuts, comme cela se déroule d’ailleurs dans tous les pays touchés par ladite décatholicisation.

Benoît Cerexhe en est un rouage si l’on analyse ses prestations publiques dans le monde religieux, certaines étant ponctuées par des discours (églises Saint-Pierre et Sainte-Alix, Institut don Bosco).

Église qui le lui rend d’ailleurs bien, selon Claude Archer, cheville ouvrière de « Transparencia », organisme d’utilité publique d’après la RTBF[26], qui affirme avoir assisté à un office religieux à l’église Saint-Pierre de Woluwe-Saint-Pierre où était présent ce bourgmestre :

« En 2018, juste avant les élections communales, le curé de cette paroisse demanda à toute l’assistance de ‘‘remercier notre bourgmestre Benoît Cerexhe, ici présent, qui nous a toujours soutenus et grâce à qui nous avons pu obtenir des travaux de rénovation de notre église’’. »

Aussi, lors de l’inauguration d’un nouveau bâtiment de 4 000 m² de l’institut catholique Don Bosco, quand l’élu des « Engagés » n’hésita pas à déclarer que « c’est ici que je suis venu faire ma première visite officielle en tant que bourgmestre. »[27]

Qu’après avoir fait « Citoyen d’honneur » Philippe Mawet (curé des paroisses de Sainte-Alix et de Notre-Dame de Stockel, celui qui concélébra une messe le 12 novembre 2017 avec Claude Gérard de l’Opus Dei), Benoît Cerexhe, lors du départ à la pension de cet ecclésiastique, le 10 septembre 2023, prononça un vibrant discours en hommage à celui qui fut « au service de la commune et de ses habitants ».

Ensuite, reportage vidéo et photographique de sa propre personne le voyant au premier rang dans l’église lors de la célébration eucharistique et aux festivités qui suivirent.

Ce bourgmestre, ceinturé de l’écharpe maïorale ou présent parmi une délégation officielle de la Commune, est encore régulièrement vu assister à des offices religieux dans le cadre de sa fonction de bourgmestre.[28]

Que j’évoque l’Opus Dei, il s’agirait d’une organisation aux méthodes et pratiques sectaires, à l’image sulfureuse, avec des sacrifices corporels, des financements occultes, une liberté bannie…, selon des témoignages récurrents.[29]

J’ai interrogé Tommy Scholtes de la Compagnie de Jésus, ancien porte-parole de la Conférence épiscopale de Belgique, à ce sujet :

« L’Opus Dei est une Prélature personnelle de l’Église catholique. Elle est donc clairement dans l’Église. Sa spiritualité basée principalement sur les Évangiles et les Écrits du fondateur – Josémaria Escriva de Balaguer – canonisé par le pape Jean-Paul II vise la sanctification des fidèles par une vie religieuse profonde et vigoureuse.

(…) Même si des questions ont été posées ci et là sur l’Opus Dei, questions fondées sur des expériences personnelles malheureuses, l’Opus Dei ne peut être considérée comme ‘‘sectaire’’, et cela ne met pas non plus en cause la canonisation faite par le pape.

Mais il est sûr que tout le monde ne se sentira pas nécessairement à l’aise avec l’Opus Dei. C’est la diversité de l’Église où certains aimeront davantage tel type de spiritualité que tel autre. Mais c’est toujours la liberté des personnes qui doit primer. »

Notons, cependant, que dans un décret promulgué le 8 août 2023, le pape François a modifié le droit canonique afférant au statut des prélatures personnelles, amoindrissant ainsi l’autonomie de l’Opus Dei, selon le journal La Croix[30], ceci après avoir souligné au mitan d’octobre 2022 que le pape avait remis de l’ordre dans cette organisation « afin de limiter les dérives, quitte à taper du poing sur la table ». Ainsi, l’Opus Dei n’aura plus d’évêque à sa tête.

Autre exemple frappant concernant Benoît Cerexhe, est celui de ce « partenariat avec la Commune et le bourgmestre » à l’occasion du 850e anniversaire de la paroisse Saint-Pierre : calicots, flyers, aide matérielle aux frais de ladite Commune, une invitation signée par lui et le collège des échevins avec le sigle de 1150 Woluwe-Saint-Pierre, à assister à un concert donné dans le cadre de ces festivités de la mi-novembre 2023.

Sur le flyer, il a même été placé, côte à côte, la photo de la tour de l’église et le beffroi de l’hôtel de ville…

Quand on connait la symbolique historique du beffroi qui est celle des libertés communales d’affirmer le pouvoir civil et son indépendance par rapport aux ecclésiastiques, on se dit que cet élu enfreint complaisamment la séparation Églises-État.

Tout cela relèverait de la sphère privée, donc parfaitement légitime, s’il n’y avait pas cette omniprésence et publication intensive sous le label « Bourgmestre de Woluwe-Saint-Pierre ».

Tout cela fait, donc, que Benoît Cerexhe cautionne implicitement (?) les dogmes et diktats religieux et qu’il a une conception fort aléatoire du « devoir de neutralité » qu’il brandit comme un bouclier pour justifier son refus de soutenir une action dans la lutte contre l’homophobie et, d’autre part, le bafoue sans honte quand il s’agit de « parrainer » la religion catholique, pourtant pas un modèle de démocratie, faut-il le rappeler.

En agissant de la sorte, il laissa de côté une grande partie des Woluwéens, sans doute la majorité, athées, agnostiques ou qui, tout simplement, ne se reconnaissent pas dans les formes instituées de la foi et s’en sentirent donc exclus.[31]

Populisme et clientélisme religieux

Ces derniers temps, Benoît Cerexhe a fait l’objet d’une intense médiatisation plutôt négative : il fut catalogué de « parjure » par son prédécesseur, Willem Draps (MR), pour avoir renié un accord préélectoral signé devant notaire, ensuite, il y eut plusieurs incidents sur des sujets comme la transparence.

Au nom du « devoir de neutralité », il refusa donc catégoriquement (sans tenir compte de l’avis contraire de membres de sa propre majorité), le tracé d’un passage pour piétons arc-en-ciel en soutien à la communauté LGBTQIA+.

Une attitude qui déplut fortement à Cécile Vainsel, élue locale social-démocrate et initiatrice de ce projet, qui évoqua plusieurs fois un « déni de démocratie », « un manque de transparence », du « conservatisme », du « manque de respect de la parole donnée », de la « carence d’information transparente »…, de la part du bourgmestre woluwéen, allant jusqu’à lui rappeler[32] que le Conseil de l’Europe édicta, en 2008, douze principes de bonne gouvernance, dont l’éthique, la transparence et la bonne gestion financière dans le cadre des affaires publiques.

Claude Archer surenchérit : « Le bourgmestre Cerexhe est le dernier bourgmestre de la Belgique francophone à refuser totalement d’informer ses citoyens avant chaque conseil communal, du détail des projets qu’il fera voter. C’est un refus de transparence et de réelle démocratie participative qui est pourtant devenue la norme partout ailleurs. »

En consultant le site de cette plateforme citoyenne qui, parfois, tient des propos extrêmes contestés par Benoît Cerexhe, d’où des conflits menant devant la Justice, on peut lire que le 4 octobre 2023, Adrien de Marneffe, journaliste à La Libre Belgique, interpella la Commune de Woluwe-Saint-Pierre sur l’existence ou non de mandataires publiques figurant sur la liste blanche de Parking.brussels, c’est-à-dire des personnes exemptées de payer leurs redevances de stationnement communal. La Commune refusa de répondre à cette légitime question, tout comme, depuis des années, à la demande de transparence de documents sur la sécurité incendie des écoles de Woluwe-Saint-Pierre, selon « Transparencia ».

Le plus interpellant, si j’ose dire, c’est que « Les Engagés », par les voix de la députée fédérale Vanessa Matz et de leur vice-président Verougstraete, lancèrent mi-décembre 2023, une charte baptisée « Fair politique » visant à promouvoir un environnement politique « respectueux, équitable et transparent. »

Un vœu pieux pour « changer les pratiques politiques »[33] ?

Je leur ai évoqué le cas de leur collègue wolusampétrusien, et à l’heure de mettre sous presse, soit plusieurs semaines plus tard, aucune réaction de leur part.

Et puis, en janvier 2024, à six mois des élections, dans un calcul électoraliste qui laisse pantois plus d’un démocrate, il injuria carrément ses alliés écologistes depuis douze ans au collège échevinal pour annoncer faire liste commune avec les libéraux (actuellement dans l’opposition) : « Nous nous sommes heurtés au dogmatisme des écologistes qui voulaient imposer leurs vues », alors que les Verts étaient allés jusqu’à renier leur ADN pour lui !

« Aucune morale, aucune parole, le seul objectif est se maintenir au pouvoir », réagit Claude Archer.

Le problème, ce n’est pas forcément la gauche ou la droite, c’est le pouvoir, dit Léo Ferré. Le pouvoir, c’est un métier, un virus, « c’est le mot le plus horrible que je connaisse, celui que je hais le plus. »[34]

Cela étant précisé, Benoît Cerexhe est également impliqué en s’arcboutant dans la bétonisation, tant décriée par les climatologues, de plusieurs sites naturels, reniant ainsi ses promesses aux habitants et étant en contradiction fondamentale avec sa Déclaration de Politique générale prônant la verdurisation en milieu urbain et la protection du patrimoine.

Plusieurs centaines d’habitants mirent en exergue (lors de tentatives de concertation à l’échelon communal, puis, forcés, auprès du conseil d’État, ensuite par une procédure administrative (rejetée) de mise sous tutelle par la Région de Bruxelles-Capitale …) une attitude incompatible, pour eux, avec la bonne gestion des deniers publics et le respect de valeurs fondamentales qui sied à tout élu.[35]

Et, pour ce même Benoit Cerexhe, ajoutons-y un véritable matraquage photographique dont le but parait être une volonté d’omniprésence médiatique et électoraliste dans Wolu Mag, le mensuel communal, sur son Facebook maïoral avec, en octobre 2023, par exemple, quelque 80 photos de sa personne (durant le même temps, également chez des bourgmestres anciens ministres : une photo pour Olivier Deleuze à Watermael-Boitfsort et huit pour Olivier Maingain à Woluwe-Saint-Lambert).

Pour d’aucuns, avec ce matraquage on est en présence d’un détournement de l’information au profit d’une propagande s’apparentant à du populisme et du clientélisme, religieux entre autres.

Qui mettra fin à ce manège douteux, se demandent-ils ?

Populisme ? Pour Jean-Pierre Rioux, historien, spécialiste de l’histoire contemporaine et ancien directeur de recherche au CNRS (Centre national de la recherche scientifique), le populisme désigne l’instrumentalisation de l’opinion du peuple par des partis ou des personnalités politiques qui s’en prétendent le porte-parole alors qu’ils appartiennent le plus souvent aux classes sociales supérieures[36], alors que ce terme est à présent utilisé dans un sens péjoratif comme étant de la démagogie, de l’opportunisme politique qui mobilise le peuple par des promesses électoralistes et qui entretient une relation « copain-copain » avec lui ou, alors, de mépris de classe.

Salubrité publique

Quel rapport y a-t-il entre la relation de la politique politicienne et le double thème du présent reportage ?

Il tente de démontrer que la manière d’opérer du principal politicien de cette commune est parfois aux antipodes des concepts qui font la richesse de la laïcité et que la vigilance s’impose plus que jamais.

À ce titre, il n’est pas vain de citer Philippe Portier, directeur au CNRS et titulaire de la Chaire d’Histoire et sociologie des laïcités à l’École Pratique des Hautes Études (EPHE) à l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL) [37] :

« Le religieux vient à nouveau se ficher dans la politique sous forme de coopération entre les Églises et les États, or, la laïcité est une forme de compréhension de la vie, de l’esprit libre, une nouvelle forme du monde et la nécessité d’être libre, ce qui est en contradiction fondamentale avec Thomas d’Aquin, considéré comme l’un des principaux maîtres de la théologie catholique, qui a dit ‘‘Seigneur, je me sens plus libre quand je t’obéis’’.

Si la modernité politique ne fait plus référence à Dieu, cependant, elle accepte de plus en plus la diversité des cultes et, depuis une trentaine d’années, on constate que les autorités religieuses sont régulièrement appelées en tant qu’« expertes » en bioéthique, dans des missions de médiation…

C’est oublier cette citation de Victor Hugo : ‘‘ L’État chez lui, l’Église chez elle’’. »

Dans ce contexte et qu’on analyse l’ordre de préséance ou ordre protocolaire dans le royaume de Belgique, on constate que le chef de l’État (le roi) et sa (nombreuse) famille, sont directement suivis par le cardinal et, seulement après celui-ci, par les présidents du Parlement européen, de la Chambre, du Sénat, et même par le Premier ministre.

En conclusion, provisoire, il est grand temps que la Belgique s’aligne sur la France en matière de séparation des Églises et de l’État, et de rappeler que la laïcité est un ensemble de principes juridiques qui repose sur le primat de la liberté de conscience, qu’elle n’est ni une arme contre les religions, ni une religion civile et que l’universalité de la loi commune ne doit se référer à aucune des diverses religions pour s’imposer à l’ensemble des citoyens.

La laïcité, selon Jacques Van Oosten, fondateur du présent magazine, est une conception de la société, une manière de fonctionner en son sein et de la faire respecter.

Enfin, concernant le comportement éthique des politiciens, les élus doivent être exemplaires et c’est devenu une urgence démocratique d’œuvrer contre leurs dérives.

Cela relève d’une entreprise de « salubrité » publique et, pour paraphraser Frédéric Lenoir[38], sociologue et philosophe, « si religion et politique se confondent, c’est bien une dérive de la société ».

Il est donc impérieux de réfléchir au constat de Comte-Sponville disant que des Cités sans démocratie, ce sont des Cités sans citoyens.

Militer pour le respect des droits fondamentaux, débattre, humaniser, conscientiser, argumenter concrètement…, tels sont les desseins des citoyens engagés dans leurs luttes (pacifiques) contre tout ce qui s’oppose aux Lumières et qui vise à fomenter une société totalitaire.[39]

Une nécessité vitale pour la démocratie dont le monde de la laïcité ne peut être absent.

A fortiori, ne plus se taire face à l’arbitraire, à l’omnipotence politicienne et aux diktats de qui et d’où qu’ils viennent.

Les citoyens qui sont souvent aux prises avec des dénis politiques, des manipulations de l’information et procédés peu légitimes, pour ne pas dire franchement contraires à l’intérêt de la population, méritent toute l’attention des laïcs car, ce phénomène est de plus en plus généralisé.

L’engagement citoyen dans ce cas-ci est vital et il y a lieu de rester convaincu qu’être citoyen, c’est prendre ses responsabilités, c’est être vigilant, c’est intervenir de manière argumentée et constructive et s’employer à bâtir une société plus solidaire.

C’est, également, établir un bien-vivre ensemble, développer une ouverture aux autres, être critique par rapport aux élus qui nous représentent dans différentes assemblées et à différents niveaux de pouvoir.

Un élu ne reçoit pas un blanc-seing des électeurs, il ne peut qu’agir en fonction de l’intérêt commun et non selon ses intérêts personnels, ceux de lobbys et de la particratie, ce fléau qui envahit de plus en plus le monde politique.

À trois reprises, deux fois sur ses réseaux sociaux et de manière publique et une fois par courriel privé, dans le cadre du présent reportage et par souci d’équité, j’ai sollicité Benoît Cerexhe sur cette séparation des Églises et de l’État : aucune réponse ne m’est parvenue.

Cléricalisme

Autre composante à la problématique débattue dans ce reportage : le cléricalisme. En effet, ce positionnement idéologique qui prône la prédominance des idées religieuses et du clergé dans la vie privée et politique, est indéniablement incompatible avec la démocratie, donc avec la laïcité.

– Il y a la politique avec un petit ‘‘p’’ et ce n’est pas notre affaire (…) Quand, dans un autre débat, j’ai dit que nous étions tous fils de Lumière, c’était une expression qui n’engage en rien (rires), selon Godefried Danneels (1933-2019), cardinal, puis archevêque de Malines-Bruxelles.

– Ce n’est pas antireligieux que de faire le distinguo entre ce qui relève des valeurs et des principes moraux universels et ce qui a trait à la religion (…) Les Lumières n’ont jamais été antinomiques de la foi et de la religion, elles se sont surtout séparées du cléricalisme, c’est-à-dire cette volonté de l’immixtion du religieux dans le politique, lui répliqua Henri Bartholomeeusen, alors grand maître du Grand Orient de Belgique.

Immixtion qui, assurément, est reflétée par le « partenariat Benoît Cerexhe-Paroisse Saint-Pierre » largement décrite (et décriée) ci-contre.

Propos recueillis par Pierre Guelff

  1. Reportage diffusé sur ARTE Radio, 4 novembre 2023.
  2. Maurice Caveing, Pour une théorie de la laïcité, Raison présente, Collection Persée, Édition Union rationaliste, 1980.
  3. www.vie-publique.fr, site web officiel de la République française.
  4. www.vie-publique.fr, site web officiel de la République française, actualisé le 10 octobre 2022.
  5. Nos engagements, CAL, www.laicite.be
  6. Titre d’une brochure de Praxis n°12 commenté par Solidarité, supplément à la revue D!onysos (Droit Humain-Belgique), mai-juin 2011.
  7. Le 2 décembre 2023, GODF.
  8. Panel international sur le progrès social, The Conversation, 2 juillet 2018.
  9. La Laïcité française prononcée avec l’accent belge, Xavier Delgrange, Administration et Éducation, AFAE, France, 2016/3.
  10. Le Soir, 9 décembre 2023.
  11. Pierre Guelff, Et pourtant ça marche – Pacifisme militant – Désobéissance civile – Engagement citoyen, Le Livre en Papier, 2023, Le Rêve maçonnique, EME-L’Harmattan, 2023.
  12. La neutralité en eaux troubles, Wavre, Anthémis, 2023, Le Soir, 14 avril 2023.
  13. Le 26 septembre 2023.
  14. Le Soir, 23 au 25 décembre 2023.
  15. Traité sur l’intolérance, Fréquence Terre-Radio France Internationale, 31 mars 2023.
  16. Mad, supplément du journal Le Soir, 5 décembre 2023.
  17. La Libre Belgique, 14 décembre 2023.
  18. Le Soir, 15 décembre 2023.
  19. L’auteur du présent article y habite depuis vingt-deux ans.
  20. Le Monde, 16 décembre 2023.
  21. Citée dans Les journalistes ont une responsabilité sociale, Michel Paquot, Médi@s, octobre 2023.
  22. Marianne, du 21 décembre 2023 au 3 janvier 2024.
  23. Le Monde, 2 décembre 2023.
  24. La Première, RTBF, 5 juillet 2023.
  25. Observatoire des Religions et de la Laïcité, ULB, 20 décembre 2019.
  26. Le 25 mars 2017.
  27. Le Soir du 26 mars 2018.
  28. Facebook de Benoît Cerexhe en tant que bourgmestre, Wolu Mag
  29. Le temps des comploteurs, Pierre Guelff, Éditions Jourdan, 2021.
  30. 22 août 2023.
  31. Pour paraphraser l’article dans la rubrique Idées, Libération, 13 décembre 2023, au sujet du président Macron et de l’affaire de l’Hanoukka.
  32. WoluMag, décembre 2023.
  33. Le Soir, La Dernière Heure…, 12 décembre 2023.
  34. Le Monde, Hors-série, 2023.
  35. Sources : plusieurs reportages dans Le Soir, La Dernière Heure, La Libre Belgique, La Capitale, Chien Vert Mag, sur bx1… de novembre 2019 à novembre 2023.
  36. Les Populismes, Paris, Perrin, 2007.
  37. Rencontré le 25 avril 2018 au CIERL (Centre Interdisciplinaire d’Étude des Religions et de la Laïcité – ULB).
  38. www.fredericlenoir.com
  39. Marie-Anne Matard-Bonucci, professeure d’histoire contemporaine, L’Obs, 20 octobre 2022.
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Auteur/autrice

Pierre Guelff

Auteur, chroniqueur radio et presse écrite

18/03/24