Sexisme et psychophobie : Comment le genre sème le trouble

Troubles du comportement alimentaire, dépression, spectre autistique, … Le sexisme influence la psychiatrie bien plus que l’on ne le pense. Le genre façonne l’expression du mal-être, et la manière dont il sera reçu. Les conséquences sont parfois graves, puisque des mauvais diagnostics peuvent être posés. Examiner comment ces oppressions se croisent permet de mettre en lumière les stigmatisations spécifiques que subissent les femmes ayant des troubles psychologiques. Cette analyse est donc indispensable pour comprendre les enjeux complexes liés à la santé mentale dans une perspective intersectionnelle.

La psychophobie, ça veut dire quoi ?

Selon l’OMS, une personne sur huit dans le monde présente un trouble de la santé mentale[1]. Pourtant, les troubles mentaux continuent d’être fortement stigmatisés.

La psychophobie, aussi appelé « sanisme », est une oppression envers les personnes ayant un trouble psychique, ou semblant en avoir un[2]. Comme pour toutes les discriminations, il existe différents niveaux d’intensité. C’est une sorte de continuum, allant de la « psychophobie ordinaire » jusqu’aux formes d’oppression les plus graves. Les appellations « taré », « cinglé », ou encore de « mongole », « schizophrénique », relèvent de la psychophobie ordinaire. Il en est de même pour l’utilisation de certaines pathologies comme des insultes. Ce champ lexical véhicule des préjugés, et participe à la stigmatisation des pathologies psychiatriques. Cela peut effectivement compliquer l’acceptation d’un diagnostic, ou celle d’avoir besoin d’aide. D’autre part, cela peut aussi alimenter et légitimer les manifestations les plus violentes de la psychophobie : les difficultés d’accès au logement, la précarisation, l’isolement social, l’abus de faiblesse, … Dans le cas de certaines maladies, telles que la schizophrénie, la stigmatisation est particulièrement forte. Certains auteurs soutiennent que le stigma social cause autant de dommage que la schizophrénie elle-même[3].

Plusieurs auteurs ont étudié les représentations sociales de la folie, c’est le cas des « mad studies ». C’est un champ d’étude en sciences sociales visant à produire de la théorie critique à propos des discours dominant sur la folie, et sur les questions de santé mentale[4]. Les mad studies proviennent du Canada, des Etats-Unis, d’Australie et de Grande-Bretagne. Celles-ci apportent des réflexions très riches relatives à la vision sociale de la folie, et se sont développées à partir de mouvements militants. Les études sur la folie se positionnent donc clairement contre la psychophobie, et tentent de trouver des solutions pour lutter contre cette oppression. Ces théoricien.ne.s reprochent aussi les discours individualistes et essentialistes, ainsi que le manque d’analyse socio-politique des troubles mentaux. Il est aussi nécessaire d’entrevoir le caractère systémique de la psychophobie, car cette oppression est ancrée dans les structures sociales, culturelles, éducatives et institutionnelles. Par conséquent, cela en fait un phénomène systémique nécessitant une approche holistique.

Venons-en maintenant au sujet de cet article : Quel est le lien avec les discriminations de genre ?

Une approche genrée du mal-être

D’abord, plusieurs travaux montrent comment les femmes sont moins prises au sérieux lorsque celles-ci expriment de la détresse, ou un mal-être psychique[5]. Certains stéréotypes sexistes conditionnent la manière dont les comportements seront interprétés. L’idée selon laquelle les femmes sont plus émotionnelles, ou même parfois « hystériques », peut contribuer à délégitimer leurs mal-être. Cela impacte d’une part la réaction de l’entourage, mais aussi celui du personnel médical, ce qui affecte la qualité des soins qu’elles reçoivent.

Les expériences liées au sexisme nuisent à la santé mentale des femmes[6]. D’abord, les expériences de violences physique, sexuelles, et émotionnelles liées au genre, ont des conséquences graves sur la santé mentale de celles-ci. L’expérience de la violence peut conduire à des troubles du stress post-traumatique, ainsi qu’à des troubles de la personnalité. D’autre part, les inégalités professionnelles peuvent affecter l’estime de soi, et engendrer du stress et des dépressions. Les pressions liées au foyer sont beaucoup plus intenses, et peuvent aussi contribuer au stress et à l’épuisement émotionnel. Les pressions liées à l’apparence peuvent aussi conduire à l’anxiété, la dépression, et aux troubles alimentaires.

Les femmes représentent d’ailleurs 90% des personnes souffrant d’anorexie[7]. Le nombre de personnes atteintes de troubles du comportement alimentaire explosa dans les années 70[8]. Cette explosion serait en partie liée à une valorisation de la consommation, ainsi qu’à une radicalisation des standards de beauté. L’origine des troubles du comportement alimentaire continue de susciter des débats houleux au sein du monde de la recherche, opposant des explications psychologiques à une analyse centrée sur des phénomènes socio-culturels et politiques. S’il est important de reconnaître des causes individuelles, il est tout aussi utile d’étudier les dimensions structurelles et systémiques des maladies psychiatriques.

Adopter une lecture genrée permet effectivement de mettre en lumière certaines tendances. Les femmes sont, par exemple, presque deux fois plus touchées par les troubles donnant lieu à la prescription de traitements psychotropes[9]. Elles présentent majoritairement des troubles plus intériorisés, tels que la dépression ou l’anxiété[10]. A l’inverse, les hommes sont plus enclins à développer des troubles d’extériorisation, qui peuvent avoir plus de répercussions sur autrui, tels que le trouble de la personnalité antisociale et la toxicomanie.

Genre et spectre autistique

Pour certains troubles, les femmes sont beaucoup moins bien diagnostiquées que les hommes. C’est le cas du trouble du spectre autistique. En effet, 80% des études sur l’autisme sont réalisées avec des sujets masculins[11]. Il y a donc là un biais androcentrique qui invisibilise l’expérience des femmes autistes. C’est pour cette raison qu’elles sont diagnostiquées plus tardivement, et que leur nombre semble sous-évalué. Le manque de représentation occulte les façons dont l’autisme se manifeste chez elles. Il est fréquent que celles-ci soient mal diagnostiquées. Les traits autistiques chez les femmes et les filles sont souvent confondus avec de l’anxiété, de la dépression, ou encore du stress post-traumatique. Par ailleurs, l’autisme est généralement repéré chez les garçons en raison de comportements jugés perturbateurs ou inadaptés. Les filles sont socialement conditionnées à être plus obéissantes et discrètes. Celles-ci sont donc plus à même à masquer leurs traits autistiques, et à se conformer aux règles sociales implicites.

Stigmatisation spécifique des femmes ayant une pathologie :

Les femmes souffrant de troubles mentaux peuvent être confrontées à des discriminations spécifiques en raison de la conjonction de la stigmatisation associée aux troubles mentaux et des attentes sociales liées au genre. D’abord des recherches, montrent que les femmes ayant séjourné en psychiatrie ont le sentiment d’être moins prises au sérieux, tant dans leur vie de tous les jours que par le personnel médical[12]. Il est notamment d’autant plus difficile pour elles, de dénoncer des violences sexuelles. Les pathologies leur retirent le statut de la « victime parfaite ». Il est donc d’autant plus probable de ne pas être prise au sérieux, d’être humiliée ou de se faire culpabiliser. Ensuite, la violence, les crises, l’hospitalisation et la médication peuvent impacter le rapport au corps et à la féminité. Les effets secondaires des médicaments, tels que la prise de poids ou les éruptions cutanées semblent mieux vécus par les hommes[13].

Selon une étude publiée dans la revue « Cancer », les femmes ont six fois plus de chances de se faire quitter par leur conjoint après l’annonce d’un cancer.[14] Pour le moment il n’existe malheureusement pas d’études statistiques similaires concernant l’annonce d’une maladie mentale. Néanmoins, certaines études rapportent qu’une plus grande proportion de femmes dise que les liens avec leurs familles se sont détériorés[15].

Quid des autres oppressions ?

Tout cela démontre qu’il est crucial d’étudier les préjugés liés au genre, ainsi que les représentations sociales de la folie. Cela permettrait de mieux comprendre comment la psychophobie et le sexisme influent les pratiques des professionnels de la santé mentale. Il est aussi nécessaire d’interroger la façon dont la psychophobie et le sexisme agissent ensemble, et quelles sont les discriminations spécifiques qui en résultent.

La psychophobie peut aussi être reliée à d’autres discriminations systémiques. Notamment avec le classisme, le racisme, la xénophobie, l’homophobie, ou encore avec la transphobie. D’abord, parce que le stress et les traumatismes que provoquent ces oppressions, peuvent entraîner des conséquences graves sur la santé mentale[16]. D’autre part, les personnes issues des minorités font face à des barrières structurelles et systémiques dans l’accès aux soins. Ces barrières comprennent le manque de ressources culturellement compétentes, la stigmatisation, et l’absence de professionnels de la santé mentale issus de ces communautés.

Le trouble mental comme enjeux pluridisciplinaire

Si cet article s’est focalisé sur le sexisme, il convient donc de relier la psychophobie avec l’ensemble des discriminations. Cela implique la prise en compte des structures de pouvoir dans lesquelles s’inscrivent les troubles mentaux. Il s’agit donc de rompre avec une analyse individualisée, normative, et essentialiste des pathologies psychiatriques. Il convient ainsi d’interroger l’idée selon laquelle les maladies mentales constituent un champ de recherche spécifique aux neurosciences et à la psychologie. Il serait pertinent de valoriser la pluridisciplinarité, et ainsi d’allier différentes disciplines telles que la sociologie, l’anthropologie, les sciences politiques ou encore la philosophie.

De même, il serait intéressant d’étudier les dynamiques de genre, ainsi que le manque de représentativité des minorités au sein du corps médical. Il existe peu de recherches sur le sujet. Pourtant, les professionnel.le.s. de la santé mentale font partie d’un tout social. Iels ne peuvent donc pas être neutres, et sont situé.e.s socialement. Il s’agit donc d’adopter une approche réflexive, et de former les soignant.e.s aux discriminations systémiques et aux enjeux socio-culturels.

Pour pouvoir construire de nouvelles études, et proposer de nouvelles formations, il faut un soutien de la part de l’Etat. Cela implique d’accorder plus d’importance aux questions de santé mentale et de débloquer des moyens. Mieux financer le secteur permettrait de démocratiser les soins thérapeutiques, et d’améliorer le travail de prévention et de déstigmatisation des troubles psychiatriques.

  1. World Health Organization : WHO. (2022, 8 juin). Troubles mentaux. https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/mental-disorders
  2. Drolet, M. (s. d.). Repérer et combattre le capacitisme, le sanisme et le suicidisme en santé. Canadian Journal of Bioethics, 5(4), 89. https://doi.org/10.7202/1094701ar
  3. . Feldman DB, Crandall CS. Dimensions of mental illness stigma : what about mental illness causes social rejection ? J Soc Clin Psychol 2007 ; 26 : 137-54.
  4. Wikipedia contributors. (2023, 28 novembre). Mad studies. Wikipedia. https://en.wikipedia.org/wiki/Mad_Studies
  5. Jodie L. Waisberg MA et Stewart Page PhD (1988) Gender Role Noncomformity and Perception of Mental Illness, Femmes et santé, 14 :1, 3-16, DOI : 10.1300 /J013v14n01_02
  6. Oram, S., Khalifeh, H., & Howard, L. M. (2017). Violence against women and mental health. The Lancet Psychiatry, 4(2), 159‑170. https://doi.org/10.1016/s2215-0366(16)30261-9
  7. American Psychiatric Association. (2013). Diagnostic and
    statistical manual of mental disorders
    (5th ed.). Washington, DC:
    Author
  8. Godin, Laurence. UNE MALADIE DU SENS ?  INDIVIDU ET SOCIÉTÉ DANS LES REPRÉSENTATIONS SCIENTIFIQUES  DES TROUBLES ALIMENTAIRES. 2016. Université du Québec, https://core.ac.uk/download/pdf/77618985.pdf.
  9. NameBright – Coming soon. (s. d.). http://www.europsy-journal.com/article/S0924-9338(15)00092-9/abstract
  10. Rosenfield, S., & Mouzon, D. M. (2012). Gender and Mental Health. Dans Manuel de sociologie de la santé mentale (p. 277‑296). https://doi.org/10.1007/978-94-007-4276-5_14
  11. Courcy, I. (2021). « Nous les femmes on est une sous-culture dans l’autisme ». Expériences et point de vue de femmes autistes sur le genre et l’accompagnement. Nouvelles Questions Féministes, 40, 116-131. https://doi.org/10.3917/nqf.402.0116
  12. Action Autonome. (2013). La reconnaissance des femmes en psychiatrie : Rapport de recherche concernant l’impact des hospitalisations sur la vie des femmes. https://www.tgfm.org/files/Publications/sante_des_femmes/rapport-de-recherche-femmes-et-hospitalisation-psychiatire.pdf
  13. Poulin, C., & Massé, R. (2007). De la désinstitutionnalisation au rejet social : point de vue de l’ex-patient psychiatrique. Santé mentale au Québec, 19(1), 175‑194. https://doi.org/10.7202/032302ar
  14. Tidjditi, C. (2021, 16 mars). Une femme a 6 fois plus de risque d’être quittée à l’annonce d’un cancer qu’un homme. Les Inrocks. https://www.lesinrocks.com/actu/une-femme-6-fois-plus-de-risque-detre-quittee-lannonce-dun-cancer-quun-homme-129007-04-01-2018/
  15. ibid
  16. Détresse psychologique et soutien social perçu par des jeunes adultes émergent.e.s du Québec issu.e.s à la fois de minorités sexuelles et de minorités ethnoculturelles – dépôt institutionnel de l’UQO. (s. d.). https://di.uqo.ca/id/eprint/1230
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