Solde insuffisant : le choix de qui ?
Notre société actuelle ne va pas bien. Elle souffre du repli sur soi, de la paupérisation d’une partie croissante de la population et de la montée des extrémismes politiques et religieux. Cette situation est due au climat sociétal anxiogène provoqué par les crises à répétition : pandémie au Covid-19, guerre en Ukraine, guerre au Proche Orient, montée du racisme et de la xénophobie, effondrement environnemental aux conséquences économiques et énergétiques, etc. Il est indéniable que la modernité est une fabrique systématique d’indignité par la dégradation des offres de logement, du rapport au milieux naturels et aux corps, des conditions de travail, etc. et génère ainsi plusieurs formes de maltraitance.
La cohésion sociale en prend évidemment un fameux coup, elle qui a pour vocation pour « une société à assurer le bien-être de tous ses membres, en réduisant les disparités et en évitant la marginalisation »[1]. La solidarité et l’intérêt général qui en sont le socle n’ont malheureusement plus la cote. Cette carence atteint évidemment les fondements de l’Etat de droit qui garantit pourtant la protection et le respect des droits civils et politiques fondamentaux ainsi que des libertés civiles.
Une partie croissante de la population de notre pays est victime de précarisation sociale, économique et culturelle, c’est-à-dire qu’elle ne bénéficie plus d’une ou de plusieurs des sécurités lui permettant d’assumer ses responsabilités élémentaires et de jouir de ses droits fondamentaux. Il en résulte une insécurité qui a des conséquences graves et définitives comme la plongée de personnes et de familles dans la précarité et in fine dans la pauvreté. Cette insécurité affecte tous les domaines de l’existence, a fortiori si elle devient persistante.
C’est la raison pour laquelle une part importante de la population s’appauvrit inexorablement selon un cercle vicieux qui consiste en l’augmentation de la disparité des revenus financiers et la diminution de l’accès à des ressources de base (en matière de connaissances, de perspectives d’emplois corrects, d’accès aux nouvelles technologies, d’accès au logement, etc.).
Les pouvoirs publics doivent permettre d’éviter cet appauvrissement et de soutenir les populations les plus vulnérables avec l’équité indispensable à la réduction des inégalités et à l’élimination progressive de la pauvreté. Car la dignité, qui est propre à tout être humain, doit être considérée comme une « res publica », une chose commune. Une vie indigne ne peut exister. Mais le sentiment et la réalité d’indignité existent bel et bien et doivent être combattus car ils portent atteinte de manière humiliante à l’intégrité physique et psychique. Mais pour tout cela, il faut impérativement arrêter le détricotage des services publics …
C’est dans ce cadre que le Centre d’Action Laïque a défini lors de sa dernière Convention organisée en 2022 « la précarité et la cohésion sociale » comme un des trois axes prioritaires de son action pour les 3 années suivantes. Cet axe est décliné cette année par le CAL dans sa campagne d’éducation permanente « Solde insuffisant : le choix de qui ? ». Car, pour le CAL, il est indéniable que la dignité humaine passe par une lutte résolue contre la précarité, la pauvreté et l’exclusion sociale. Pour être véritablement efficace, l’émancipation portée par la laïcité doit se coupler à un authentique projet d’émancipation sociale. Parce que le droit à un niveau de vie suffisant constitue un préalable indispensable à l’exercice des droits fondamentaux.
Les domaines que cette campagne d’éducation permanente traite sont mis en regard des responsabilités sociopolitiques inhérentes aux pouvoirs publics. Chaque thématique est traitée à la fois sous l’angle des causes et des conséquences et rappelle la nécessité de lutter contre la précarité et de défendre et de promouvoir la cohésion sociale.
La sécurité sociale est évidemment présentée ainsi que son fonctionnement et ses performances car elle représente un filet de sécurité social pour un grand nombre de personnes. Sans sécurité sociale, le taux de pauvreté dans notre pays serait bien pire !
Des problématiques sociales aigues sont abordées comme la réalité du non-recours aux droits sociaux par certaines personnes précarisées ; les problèmes de santé en général et de santé mentale en particulier qui atteignent, entre autres, les personnes en situation de précarité ; la fracture numérique qui handicape grandement les personnes vulnérables et peu instruites ainsi que la problématique d’accès à un habitat digne, sain et au coût raisonnable.
Les conditions de travail difficiles et précaires des travailleuses et travailleurs sociaux ne sont pas oubliées dans le contexte de sous-financement du domaine social et de la politique d’activation qui en font des « flics des pauvres » et qui ne correspond aucunement aux valeurs inhérentes à leur métier ni à l’objet social de leur institution. La campagne aborde également le statut de cohabitant qui limite gravement les revenus de ce dernier. Le statut migratoire est également abordé, lui qui fragilise considérablement le présent et le futur des personnes migrantes qui se voient amputées d’une grande partie de leur accès aux droits fondamentaux.
La consommation d’assuétudes est aussi traitée car elle fait des ravages auprès des personnes précarisées, dont évidemment les sans domicile fixe. La politique belge incohérente en la matière contribue grandement à l’augmentation de la précarité de cette population ; la prohibition a davantage aggravé les problèmes sociaux, sanitaires et sécuritaires qu’elle ne les a réglés. De plus, l’arsenal législatif essentiellement criminalisant et discriminant se révèle incompatible avec les valeurs laïques de responsabilité, d’autonomie et de liberté individuelle.
Les nouvelles et futures formes de précarité ne sont évidemment pas oubliées : les travailleurs pauvres, les étudiants belges et étrangers au statut précaire, les familles monoparentales et particulièrement les mères célibataires, certains pensionnés, l’effritement ou le déclassement progressif de la partie inférieure de la classe moyenne, etc. Sans oublier les futurs réfugiés climatiques …
Dans le contexte d’ultra libéralisation de la société qui met toujours plus en avant la fable du mérite individuel, la campagne du CAL alerte sur la criminalisation croissante des personnes en situation de pauvreté parce que soi-disant elles ne « produisent rien » et qu’elles « sont à la charge de la collectivité ». Pourtant, qu’il s’agisse de personnes socioéconomiquement précaires, de personnes migrantes, de personnes détenues, etc., elles restent des hommes et des femmes porteuses de dignité. De par leur appartenance à l’humanité, elles ne devraient être ni stigmatisées ni rejetées.
Dans le cadre de la campagne d’éducation permanente, le CAL va se doter d’un outil de sensibilisation à la lutte contre la précarité et à la défense et la promotion de la cohésion sociale : il va s’agir d’un « abécédaire de la précarité » qui va proposer la définition de 50 concepts socio-politico-économiques usuels. Son but est de définir correctement chacun de ces concepts en les dégageant des stéréotypes auxquels ils sont associés (exemple : « chômeurs = profiteurs »), de préciser les enjeux sociétaux auxquels ils sont liés et de rappeler pour chacun d’entre eux les recommandations du CAL inscrites dans son mémorandum préélectoral 2024.
Tout au long de sa campagne 2024, sur base des valeurs laïques de liberté, d’égalité et de solidarité, le CAL rappelle avec force le nécessaire réinvestissement dans les droits sociaux et dans une société solidaire. Il insiste également sur la nécessité de (re)bâtir une société aux responsabilités sociales partagées et de renforcer le dialogue social et les moyens conférés à une aide sociale non-coercitive afin de pouvoir bâtir un avenir sûr pour toutes et tous.
Etant donné les 3 thématiques prioritaires identifiées par la Convention Laïque de 2022, le CAL établit évidemment des liens entre la campagne d’éducation permanente 2024 et celles de 2023 et 2025 portant respectivement sur « Les extrémismes, notre prison » et « Réchauffement climatique et justice sociale ». Car les extrémismes et, particulièrement, l’extrême droite, surfent sur les réalités inhérentes à la précarité. Et parce que, au-delà des « mesurettes » actuelles, les mesures qui seront prises à l’avenir pour lutter contre le réchauffement climatique seront plus que probablement draconiennes, ce qui ne fera qu’accroître la précarité. D’autant plus si elles sont prises trop tard et par des gouvernements autoritaires aux mains de l’extrême droite …
Auteur/autrice
Vincent Dufoing
Directeur de la Cellule Projets Communautaires du CAL
18/09/24
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