Aujourd’hui, le 7 janvier 2025, nous marquons les 10 ans du tragique attentat contre Charlie Hebdo. Cet événement a choqué le monde et mis en lumière la laïcité, l’un des piliers fondamentaux de la République française.

L’attentat a entraîné une mobilisation sans précédent pour défendre la liberté de la presse et rendre hommage aux victimes. « Je suis Charlie » est devenu le cri de résistance à la censure, une prise de position ferme contre les attaques à la liberté d’expression.

À ce moment-là, la liberté d’expression a été défendue comme un droit fondamental, mais 10 ans plus tard, nous nous demandons : pourquoi le discours sur la liberté d’expression n’est-il plus le même ? La société a changé, et les défis auxquels nous faisons face aujourd’hui sont différents, avec de nouvelles questions sur la laïcité, la pluralité des opinions et le rôle de la liberté dans le débat public.

Un monde polarisé ne produit pas de réponses unanimes

L’attentat de 2015 a uni la majorité des Français d’une manière inédite. Beaucoup disent même que c’était la dernière fois que le pays s’est réellement senti uni¹. Cependant, en 10 ans, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. Les conflits mondiaux se sont intensifiés de manière drastique, les élections dans divers pays montrent que l’ascension de l’extrême droite a pris des proportions considérables… Le débat public n’a jamais été aussi divisé.

La polarisation est une réaction normale des sociétés démocratiques², et le débat public devient un terrain mouvant. Dans ce contexte, comment pouvons-nous envisager la question soulevée par le mouvement « Je suis Charlie » ? Quels sont les débats qui trouvent leur place dans le discours sur la laïcité, la liberté d’expression et la neutralité ?

Les nouvelles générations

Dans cette polarisation, une tranche d’âge se distingue : les jeunes. Comment les nouvelles générations, qui ont un regard différent – et plus éloigné – sur la laïcité et la liberté d’expression, se positionnent-elles face à cet héritage ?

Dans une étude menée en France sur le comportement des nouvelles générations et la tolérance, le chercheur Philippe Portier souligne que les nouvelles générations « divergent fortement de celles qui les précèdent, étant très hostiles à l’utilisation de signes religieux. ‘Seuls 20 % de la population ont la même tolérance que les jeunes envers ces symboles’, précise Portier. Selon le chercheur, deux facteurs expliquent cela : “ Les expériences quotidiennes, comme côtoyer des jeunes qui ne mangent pas de porc ou qui portent le voile, modifient des schémas doctrinaux qui pouvaient auparavant être acquis. Pour les jeunes, ces signes religieux ne sont pas perçus comme une forme de pré-radicalisation ou une menace potentielle, comme c’est le cas pour une grande partie de la société “. Les dernières générations ont également appris à l’école, selon Portier, les principes de la non-discrimination³”.

Autrement dit, les nouvelles générations se montrent plus tolérantes envers les manifestations religieuses, mais sont moins tolérantes envers la discrimination, la répression religieuse et les offenses.

Les jeunes et la laïcité

Un point fondamental, à savoir ce qu’est la laïcité, cause déjà de la confusion parmi les jeunes.

En restant concentrés sur le cas français, voici la définition officielle de la laïcité par le gouvernement français :

“La laïcité garantit la liberté de conscience. De celle-ci découle la liberté de manifester ses croyances ou convictions dans les limites du respect de l’ordre public. La laïcité implique la neutralité de l’Etat et impose l’égalité de tous devant la loi sans distinction de religion ou conviction”. Et encore : “La laïcité n’est pas une opinion parmi d’autres mais la liberté d’en avoir une”⁴.

Un sondage réalisé par l’Ifop montre que dans les écoles françaises: “La moitié des répondants définissent la laïcité comme la «garantie par la République de la liberté de conscience de chacun» et 43 % comme «la neutralité de l’Etat par rapport aux religions et aux partis politiques». ” Mais ces deux bonnes réponses accusent un recul de quinze points par rapport à 2018 tandis que plusieurs mauvaises réponses gagnent du terrain. 31 % des sondés estiment par exemple que la laïcité est synonyme d’absence du religieux dans l’espace public alors que la liberté de conscience est au cœur de la loi de 1905 sur la séparation des Eglises et de l’Etat”⁵.

Dans une autre étude menée par l’Ifop pour la Fondation Jean-Jaurès, on observe que les jeunes de 18 à 34 ans sont en désaccord avec les générations plus âgées lorsqu’il s’agit de questions liées à la liberté de la presse et à la caricature⁶. Une majorité se prononce contre ces libertés, mettant en évidence un éloignement critique par rapport à certains des principes défendus par Charlie Hebdo.

La laïcité est-elle obsolète ?

L’un des piliers de la laïcité est la neutralité face aux manifestations religieuses. Bien que nous puissions ne pas être d’accord avec les idées ou les formes d’expression, nous défendons que le débat doit toujours rester ouvert, et que la liberté d’opinion ne doit jamais être réduite au silence par crainte pour la vie. Le débat ne doit pas être contaminé par des radicalismes de quelque nature que ce soit.

La laïcité doit chercher à se mettre à jour, dans un effort démocratique pour répondre aux enjeux actuels, aux défis que le monde d’aujourd’hui rencontre et à sa jeunesse.

Une pratique vivante, tout comme nos sociétés

Pour rapprocher les jeunes du débat, il est nécessaire de les inclure dans le discours, avec leurs points de vue, comme le défend la laïcité.

“Il est de fait que, tout en rappelant que « la France a érigé la laïcité au rang de valeur fondatrice », le rapport Stasi rappelle que cet idéal n’est pas « une valeur intemporelle déconnectée de la société ». Le rapport est ainsi ponctué de formules destinées à mettre l’accent sur la nouveauté des problèmes rencontrés et des solutions à envisager. La laïcité « est une pratique vivante », lit-on dans le rapport, qui doit répondre aux « besoins nouvellement exprimés »⁷.

En 2025, nous déplorons les attentats, et en même temps, nous commémorons les 120 ans de la laïcité en France. C’est une conquête qui doit être préservée et adaptée aux temps actuels, et qui doit également revenir dans le débat, se mettre à jour et rapprocher les jeunes d’aujourd’hui du discours de la liberté et de la défense de la démocratie.

Pour toutes ces raisons, notre réponse, 10 ans plus tard, reste Je suis Charlie. En solidarité avec les victimes, leurs proches et ceux et celles à travers le monde qui subissent des représailles pour leurs façons de penser et pour ce qu’ils sont.

1 C Ce Soir – France Télévisions. (2025, January 6). Dix ans après Charlie Hebdo, que reste-t-il de l’esprit Charlie ? – C Ce soir du 6 janvier 2025 [Video]. YouTube. https://www.youtube.com/watch?v=-PnMJCaXYYY

2 Chemin, A. (2023, June 17). La polarisation, fièvre des sociétés démocratiques. Le Monde.fr. https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/06/16/la-polarisation-fievre-des-societes-democratiques_6177875_3232.html

3 Sauvaget, B. (2023, December 6). Etude sur les jeunes et la laïcité : plus de tolérance, et plus de croyance. Libération. https://www.liberation.fr/societe/religions/les-jeunes-et-la-laicite-plus-de-tolerance-et-plus-de-croyance-20231206_4NNJLMQQYVEIPBNX7VDYSF2HKA/

4Qu’est-ce que la laïcité ? | info.gouv.fr. (n.d.). info.gouv.fr. https://www.info.gouv.fr/organisation/laicitegouvfr/qu-est-ce-que-la-laicite

5 Bourgneuf, C. (2023, June 15). Sondage : la laïcité à l’école, contestée et mal interprétée. Libération. https://www.liberation.fr/societe/education/sondage-la-laicite-a-lecole-contestee-et-mal-interpretee-20230615_FE4734EKHFARHJJNILKEKE6XWY/

6 Sémat, C. (2025, January 7). Attentat de “Charlie Hebdo” : dix ans plus tard, la liberté de la presse décriée chez les jeunes selon un sondage. Marianne. https://www.marianne.net/societe/laicite-et-religions/attentat-de-charlie-hebdo-dix-ans-plus-tard-la-liberte-de-la-presse-decriee-chez-les-jeunes-selon-un-sondage

7 Thomas, J. (2005) . Faut-il renouveler la laïcité ? Connexions, no 83(1), 13-32. https://doi.org/10.3917/cnx.083.0013.