Autrefois perçu comme à la traîne, le Portugal a connu une avancée surprenante depuis la crise de 2011 et semble renaître de ses cendres. Si les politiques d’austérité ont marqué le pays et provoqué des tensions avec ses partenaires du Nord, les Portugais restent très favorables à l’Union Européenne.

Antonio De Oliveira Salazar a dirigé le Portugal d’une main de fer. La censure était très forte et la propagande salazariste s’appuyait sur le mythe « du grand Portugal » bâtit sur l’empire colonial. C’est pour cela que le Portugal est le dernier pays à avoir donné l’indépendance à ses colonies africaines. Pendant les années 60, Salazar enfonce son pays dans de multiples guerres coloniales sanglantes, qui tuerons plus de 100 000 africains et 8000 portugais en l’espace de treize ans¹. Un million et demi de Portugais fuient leurs pays pour échapper au service militaire et à la pauvreté². En 1960, le taux de mortalité infantile était de 8,4%, l’un des plus élevés d’Europe³. Le 25 avril 1974 après quarante ans de dictature, la révolution des œillets renverse le régime salazariste. Dès 1976 le Portugal accède au conseil européen et demande à intégrer la CEE (l’ancêtre de l’UE) l’année suivante⁴. Les négociations ne démarrent qu’en 1978 et seront très lentes. Le Portugal n’intégrera la CEE qu’en 1986, en même temps que l’Espagne.

De Salazar à l’UE

D’abord, l’opinion publique et la pression internationale à l’égard de la guerre coloniale permettent de comprendre la rapidité de la demande d’adhésion. L’économie portugaise reposait jusque-là sur les colonies, il s’agissait donc également de changer rapidement et radicalement de stratégie en s’encrant en Europe. D’autre part, le Portugal souhaitait protéger son régime démocratique naissant. Le changement de régime était en effet une condition non-négociable pour intégrer la CEE. L’ancien chef d’Etat Mario Soares avait bien compris ces enjeux et a joué un rôle très important dans cette adhésion⁵. Il défendait déjà ce projet lorsque Salazar était encore au pouvoir. Il s’est opposé au régime, et a fait trois ans de prison pour délit d’opinion.

L’intégration européenne a en effet permis de consolider les institutions démocratiques, de moderniser l’économie, et d’ouvrir la société portugaise au monde extérieur⁶. La CEE a aidé le Portugal à combler des lacunes économiques qui étaient dénoncées lors des négociations, notamment en modernisant ses infrastructures⁷. La hausse des salaires et la baisse du taux de chômage entrainent une hausse de la consommation des ménages. La libéralisation des importations amène également de la prospérité économique. Les années 80 marquent une véritable transformation de la société portugaise qui était « traditionnellement pauvre et économe »⁸. Cela s’illustre notamment à travers l’avènement d’immenses centres commerciaux, l’accès à la propriété foncière, l’achat d’automobiles, le surendettement, l’explosion du marché de la téléphonie mobile, ou encore le suréquipement des ménages. Le Portugal s’ouvre au monde extérieur, et plus particulièrement au tourisme. En 1998 l’exposition universelle y a lieu, ce qui permet de gagner de la crédibilité internationale et d’attirer des touristes.

Une motivation supplémentaire du Portugal à adhérer à la CEE était de garantir son indépendance face à l’Espagne. L’Espagne étant plus grande et peuplée fait craindre une concurrence déloyale à son voisin. Les négociations pour l’adhésion ont été ralenties à cause de tensions internes entre les deux pays. Pourtant depuis les années 2000 les échanges commerciaux entre les deux voisins ont doublé depuis l’an 2000, en passant de 14% du PIB à 23%⁹. Au printemps 2022, ils ont réussi à faire reconnaître par Bruxelles une « exception ibérique », ce qui leur a permis, dès juin, de dissocier les prix de l’électricité de ceux du gaz. Grâce à cela, ils ont pu réduire significativement leurs coûts énergétiques, en justifiant que, en tant que région, ils constituent une « île énergétique » avec peu de connexions au reste de l’Europe¹⁰. Ainsi, si le Portugal a pu investir d’autres partenaires, l’Espagne continue d’être son allié principal, et il semble même que ce lien se soit renforcé.

Le double jeu portugais

Depuis son adhésion, le Portugal a tissé des liens forts avec les 27 et assume un ancrage européen. Selon un sondage de la Commission européenne de 2021, le Portugal fait partie des pays ayant un niveau d’adhésion les plus élevé. La majorité des citoyens font confiance à l’UE (78%), ont une image positive des états-membres (76%), et sont favorable à l’euro (95%)¹¹. Cependant le taux de participation électorale reste bas, il était de 36,5% en juin 2024. L’ancien Premier ministre socialiste portugais Antonio Costa deviendra le prochain président du Conseil européen en décembre 2024¹². Son élection continue de renforcer la place du Portugal au sein de l’UE. Le pays devient le premier pays européen à avoir des représentants au Conseil européens, à la Commission européenne et à l’ONU.

En parallèle, le Portugal garde la tête tournée vers l’Atlantique, en entretenant des partenariats politiques et économiques avec de nombreux pays. Il continue les échanges avec ses anciennes colonies, et tente de rester maitre de la communauté lusophone¹³. Le pays s’est improvisé médiateur lors de conflits entre pays d’Afrique lusophone.¹⁴ D’autre part, le Portugal est le membre-fondateur du traité de l’Atlantique Nord (1949), et abrite donc un centre de commandement près de Lisbonne ainsi qu’une base américaine aux Açores¹⁵. Le Portugal tente ainsi de jouer sur plusieurs tableaux, en investissant à la fois l’UE et hors du continent.

De la crise au retournement de situation

La crise économique de 2008 a durement frappé le Portugal exacerbant des problèmes structurels déjà existants, comme le déficit budgétaire élevé et la dette publique croissante¹⁶. En avril 2011, le gouvernement portugais a officiellement demandé une aide financière internationale, reconnaissant qu’il ne pouvait plus financer sa dette sur les marchés financiers à des taux soutenables. Deux mois plus tard un accord a été conclu avec la « troïka » composée de l’UE, de la Banque centrale européenne (BCE), et du FMI, pour un programme de sauvetage de 78 milliards d’euros.

Le programme de sauvetage était conditionné à la mise en œuvre de mesures d’austérité strictes et de réformes structurelles pour réduire le déficit budgétaire et la dette publique. Les mesures d’austérité comprenaient des coupes dans les dépenses publiques, des augmentations d’impôts, des réductions de salaires dans le secteur public, des réformes du marché du travail et des privatisations d’entreprises publiques. Certes, les mesures d’austérité ont contribué à la stabilisation financière du pays et à la restauration de la confiance des marchés financiers. Cependant, elles ont aggravé la récession économique, avec une contraction du PIB et une augmentation du chômage, qui a atteint des niveaux record. Le niveau de pauvreté et les inégalités ont significativement augmenté.

En 2014, le Portugal a quitté le programme de sauvetage, ayant satisfait aux exigences de la troïka. L’économie a commencé à montrer des signes de reprise, avec une croissance économique et une réduction du taux de chômage. Ces dernières années, le Portugal a continué sur sa lancée et a pris sa revanche sur l’UE. En 2015, le Portugal élit un gouvernement de gauche dirigé par le socialiste Antonio Costa. Dans les années qui suivent le taux de chômage tombe à 8% en 2020, alors qu’il était de 16% en 2013¹⁷. Pendant la crise le Portugal faisait partie des mauvais élèves en matière de déficit budgétaire. Aujourd’hui on assiste à un véritable retournement de situation car il se trouve en meilleure position que la France et l’Allemagne¹⁸.

Il existe plusieurs explications à cette avancée fulgurante. D’abord comme la Grèce et l’Espagne, le Portugal est qualifié d’économie club-med car leurs économies sont basées sur le tourisme. Cette particularité leurs a permis de tirer leur revanche, car ils sont moins affectés par la crise énergétique et par les problèmes de compétitivité. En 2023 le pays effectue ainsi une saison touristique record. Ensuite, le Portugal est aussi l’un des principaux bénéficiaires du plan de relance européen initié en 2021. Les pays bénéficiaires s’engagent en échange à entreprendre des réformes structurelles. Enfin, les périodes de crise, de récession et de prospérité fonctionnent généralement par cycles. Des pays comme l’Allemagne et la France ont été moins touchés par la crise de 2008 et sont donc plus vulnérables aux crises suivantes.

Si l’économie portugaise semble renaître de ses cendres, le jeune phœnix éclos sur un sol fragile. Il existe toujours de très grosses faiblesses structurelles qui nécessitent d’être dépassés pour que cette prospérité puisse perdurer. D’abord, il s’agit d’une économie à deux vitesses qui ne bénéficie pas de la même manière à tout le monde. Le développement économique a surtout profité au développement urbain et littoral¹⁹. L’exode rural continue d’affaiblir la campagne qui a perdu 40% de sa population ces 50 dernières années. Le pays peine à faire face au vieillissement de sa population. L’accès aux études supérieures reste très difficile, et la propension de la population à y avoir accès est l’une des plus basses d’Europe²⁰. Les rares jeunes qui sont diplômés continuent d’émigrer massivement à l’étranger.

D’autre part, l’afflux massif de touristes et l’arrivée de digital nomades ont fortement contribué à l’embourgeoisement et à la gentrification des grandes villes. Les loyers ont grimpé en flèche, rendant la vie inabordable pour les habitants locaux, contraints de s’installer en périphérie. Ce phénomène s’est accentué avec la mise en place du « Visa d’Or », un programme attractif qui permet aux étrangers d’obtenir une résidence en échange d’investissements immobiliers. Bien que ce programme ait attiré des capitaux étrangers, il a aussi participé à la spéculation immobilière, défigurant ainsi la culture locale et transformant des quartiers traditionnels en zones touristiques. Les grandes villes sont particulièrement touchées, il y existe un décalage entre le prix des loyers et les salaires : À Lisbonne, le prix moyen pour louer un studio se situe entre 900 et 1 300 euros par mois dans le centre-ville²¹, alors que le salaire minimum est de 820 euros bruts mensuel en 2024, ce qui correspond à environ 760 euros net²².

En conclusion, Le Portugal est en train de redéfinir son rôle en Europe, tout en restant vigilant quant aux défis économiques à venir. Le pays, bien que toujours dépendant des fonds structurels européens et alourdi par une dette élevée, montre des signes encourageants d’évolution. Après des années de difficultés économiques, le Portugal a réussi à se redresser progressivement en investissant au sein de l’UE et en dehors. Malgré la dépendance aux fonds européens, les réformes et investissements des dernières années ont permis de transformer son image, passant d’un pays considéré comme à la traîne à une nation plus dynamique et compétitive. Cette progression casse l’image stéréotypée d’un Portugal pauvre et en retard, marquant un tournant vers un futur plus prometteur.