Jeunes et démocratie : nouveaux électeurs à l’ère des réseaux sociaux
La loi du 22 juin 2022 autorisant les jeunes de 16 et 17 ans à voter aux élections européennes a permis à la Belgique, à l’instar de l’Autriche, de l’Allemagne et de Malte, d’ouvrir le droit de vote à cette tranche d’âge. Cette mesure visait à encourager une plus grande participation de la jeunesse au processus démocratique. Les jeunes ont-ils répondu à l’appel ? Vers quels partis se sont-ils tournés pour exprimer leurs choix ? De quelle manière s’informent-ils sur la politique et quelles sont les méthodes mises en place par les partis politiques pour atteindre cette cible ?
Lors des dernières élections européennes, les jeunes constituaient 11 % de l’électorat belge et 244 957 d’entre eux avaient entre 16 et 17 ans, soit 2,9 % du total. Les premiers chiffres ne montrent pas d’effet primo votant et les jeunes n’auraient pas spécialement voté plus ou moins que le reste de la population.
La participation électorale des jeunes semble davantage déterminée par des facteurs socio-économiques, tels que le niveau d’éducation et le milieu familial, que par leur statut de nouveaux électeurs. Par ailleurs, il est essentiel de se rappeler que « la jeunesse » n’est pas un concept uniforme, tant d’un point de vue sociologique que politique. Dans notre analyse, nous avons choisi de cibler les 16-24 ans, car au-delà de cet âge, les différences en termes de comportement électoral et de préoccupations s’accentuent.
Les jeunes et les élections européennes
Les jeunes ne votent pas ?
En Belgique, depuis 1999, les chiffres de la participation aux élections européennes n’avaient fait que chuter. De 91,05 % en 1999 on est passé à 88,47 % en 2019. Aux élections de 2024, la participation remonte un petit peu puisqu’elle est de 89,01 %. On observe depuis 30 ans une tendance croissante de l’abstentionnisme dans les démocraties occidentales qui ne s’avère pas plus présente chez les jeunes actuellement qu’il y a 25 ans.
En France, 40 % des jeunes ont voté aux élections européennes, un taux légèrement supérieur à celui de 2019. Le niveau de connaissance politique varie considérablement parmi les jeunes, tout comme chez les adultes.
Le paradoxe des connaissances politiques
Selon Jeremy Dodeigne, spécialiste en science politique, les jeunes belges connaissent souvent mieux les partis contre lesquels ils souhaitent voter plutôt que ceux pour lesquels ils veulent réellement s’engager. Cette situation reflète un phénomène plus large, où les jeunes se positionnent davantage dans une opposition aux idées qu’ils rejettent, plutôt que dans une adhésion claire à un projet politique. Ce manque de repères positifs peut être le signe d’une désillusion face à l’offre politique actuelle ou d’un manque de visibilité des programmes qui répondent à leurs préoccupations.
Cette tendance s’observe également dans d’autres pays européens, où les jeunes expriment de plus en plus une forme de rejet du système politique traditionnel. Ce manque d’engagement positif pourrait être en partie lié à une méfiance envers les institutions politiques et la difficulté à identifier des leaders ou des partis incarnant leurs idéaux. Mais les jeunes sont également capables de se mobiliser. L’intérêt massif des jeunes pour les partis verts en Belgique s’est manifesté particulièrement au cours des dernières années, en écho à une prise de conscience accrue des enjeux écologiques et sociaux. Ce phénomène s’explique par le fait que les jeunes sont de plus en plus sensibles aux questions de changement climatique, de justice sociale et d’inclusivité, des thèmes centraux dans les programmes des partis écologistes. Cette adhésion a pris une ampleur particulière lors des mobilisations pour le climat, comme celles initiées par des figures jeunes et charismatiques telles que Greta Thunberg. En Belgique, les grèves scolaires pour le climat et les manifestations massives ont montré l’enthousiasme et l’engagement des jeunes pour un avenir plus durable, et les partis verts ont su capter ce mouvement.
Cependant, suite à un manque d’actions concrètes, les jeunes ont massivement manifesté leur déception et les partis écologistes ont perdu des plumes aux dernières élections. On sait que quand l’électorat est déçu, il est ensuite plus difficile à mobiliser. De plus, on observe que « les fortes inégalités qui marquent certains espaces favorisent le retrait des groupes les plus fragiles, tout comme le chômage de masse ou les facteurs de précarité alimentent, aussi bien à l’échelle individuelle qu’à celle des territoires, l’abstention de masse »1.
L’extrême droite séduit de plus en plus de jeunes
On a pu observer dans de nombreux pays européens une montée de l’extrême droite chez les jeunes. En Allemagne, par exemple, 17 % des moins de 30 ans ont voté pour le parti « Alternative für Deutschland » (AfD) lors des dernières élections européennes, contre seulement 7 % lors des élections précédentes. En France, la liste emmenée par Jordan Bardella a également connu un grand succès. 2
Ces chiffres sont révélateurs de l’attrait croissant de la jeunesse pour des discours populistes et nationalistes, souvent simplifiés et axés sur des thèmes comme l’immigration ou la défense des valeurs traditionnelles.
En Belgique, le Vlaams Belang capte environ 20 % des intentions de vote des Flamands âgés de 18 à 34 ans. Ce parti d’extrême droite, qui prône une politique anti-immigration et la défense des valeurs familiales traditionnelles, semble séduire une partie croissante de la jeunesse. Cette tendance a de nombreuses explications dont le fait que les jeunes ont du mal à trouver des emplois, les logements sont toujours plus chers, ils sont nombreux à connaître la précarité. Cependant, ce succès croissant des partis d’extrême droite auprès des jeunes s’explique également par les stratégies de communication spécialement conçues pour attirer ce public.
Les réseaux sociaux : nouvelle arène politique des jeunes
En 2022, 95,6% des Belges âgés de plus de 13 ans possédaient un compte actif sur une des plateformes existantes et y consacraient en moyenne 1h34 minutes par jour.3
Les réseaux sociaux jouent un rôle central dans l’engagement politique des jeunes et des moins jeunes. Une enquête menée par Ipsos révèle que 48 % des jeunes de moins de 30 ans estiment que le contenu politique publié sur ces plateformes influence leur vote. En outre, 70 % des jeunes considèrent les réseaux sociaux comme un espace légitime pour parler de politique.
L’investissement des partis politiques
Les partis politiques ont de plus en plus recours aux réseaux sociaux pour diffuser leurs messages, ne serait-ce que parce que faire de la publicité sur ces plateformes est bien moins coûteux que dans les médias traditionnels, tant pour les créateurs de contenu que pour les consommateurs. Cela leur permet ainsi de toucher un public large à moindre frais dans le cadre d’une stratégie ciblée et efficace pour capter l’attention, notamment des jeunes électeurs.
Les plateformes comme Facebook ou TikTok permettent aux partis d’extrême droite et d’extrême gauche de diffuser des messages percutants qui, en raison de leur nature souvent polarisante, sont largement partagés.
Cette approche est particulièrement marquée chez les partis d’extrême droite, qui rencontrent souvent des difficultés à accéder aux médias traditionnels en raison de restrictions ou de réticences de la part de certaines chaînes ou publications. Face à ces obstacles, ces partis ont investi massivement dans la publicité numérique pour contourner les médias traditionnels et atteindre directement les électeurs via les réseaux sociaux. Ce surinvestissement leur permet non seulement de contourner la couverture limitée qu’ils pourraient recevoir ailleurs, mais aussi de diffuser des messages ciblés et souvent polarisants, en exploitant les algorithmes des réseaux sociaux pour toucher un public plus réceptif à leurs idées.
Les partis extrémistes et surtout d’extrême droite ont donc surinvesti les réseaux sociaux. En Belgique, le Vlaams Belang compte 70% de dépenses de publicité en plus par rapport aux autres partis belges et en France, le Rassemblement National consacre 98 % de budget supplémentaire à sa présence en ligne comparé aux autres partis.
Cette démocratisation de l’accès à l’information via des canaux non traditionnels ouvre la voie à de nouvelles formes d’engagement, mais pose également des défis.
Ainsi, cette visibilité accrue des discours radicaux pose la question de la régulation de l’information en ligne. Les réseaux sociaux peinent encore à identifier les fausses informations politiques, à moins qu’elles ne deviennent virales et largement partagées. Les jeunes, moins expérimentés dans le discernement des fake news, peuvent ainsi être influencés par des contenus biaisés ou mal intentionnés.
Les mécanismes cachés des réseaux sociaux : biais et algorithmes
Il est important que tout un chacun prenne conscience de l’existence de biais cognitifs car ils influencent non seulement la manière dont les utilisateurs consomment l’information, mais aussi la façon dont les algorithmes des plateformes sélectionnent et présentent le contenu.
Parmi les biais cognitifs les plus courants, on trouve le biais de négativité, le biais de confirmation et le biais de popularité, qui forment une combinaison puissante d’influence.
Prenons trois situations qui peuvent influencer les choix politiques de jeunes.
Une jeune étudiante scrolle souvent sur les réseaux sociaux. Elle est exposée à des titres qui mettent en avant la hausse de la délinquance ou l’insécurité dans l’espace public, un sujet qui est souvent mis en avant par des partis d’extrême droite. L’effet du biais de négativité renforce son attention vers ce type de contenu et suscite en elle une inquiétude croissante. La peur qu’elle ressent la conduit à penser que les enjeux sécuritaires sont prioritaires. Peu à peu, elle peut être influencée par les discours qui prônent des solutions radicales, et elle s’oriente alors vers des idées politiques plus axées sur la sécurité. Elle est donc influencée par un biais de négativité.
Un étudiant de 18 ans suit plusieurs comptes politiques qui partagent ses valeurs et opinions. Convaincu que le système actuel ne prend pas assez en compte les besoins des jeunes, il commence à voir sur ses réseaux sociaux de plus en plus de publications qui critiquent le gouvernement, renforcées par les algorithmes. Il se retrouve à cliquer uniquement sur les contenus qui soutiennent son idée que « rien ne changera tant que les mêmes resteront au pouvoir ». Cette dynamique l’oriente vers des partis qui promettent des changements drastiques, comme les extrêmes, sans forcément vérifier la viabilité de leurs propositions. Il a été influencé par un biais de confirmation.
Un autre étudiant remarque que plusieurs influenceurs qu’il admire partagent les messages et slogans d’un certain parti politique. Il peut être amené à percevoir ces idées comme davantage légitimes simplement parce qu’elles sont soutenues par des personnalités influentes. Il se laisse alors persuadé que suivre ce mouvement est le bon choix, sans nécessairement évaluer les propositions du parti en profondeur, influencé par cette visibilité et l’effet de majorité perçue autour de lui.
Ces biais influencent chacun à leur manière les choix politiques des jeunes en amplifiant certaines perceptions et en orientant leur engagement politique vers les contenus les plus visibles ou émotionnellement marquants, souvent sans passer par un filtre critique. Et cela d’autant plus que les algorithmes sous-tendant l’affichage du contenu sur les réseaux sociaux tendent à multiplier les informations semblables à celles qui ont été “likées”, enfermant l’utilisateur dans une bulle informationnelle dont il est difficile de sortir.
Pour conclure…
La participation des jeunes aux élections européennes, bien que facilitée par l’abaissement de l’âge du droit de vote, reste complexe et nuancée. Les jeunes de 16 à 24 ans, confrontés à des réalités socio-économiques diverses et influencés par les réseaux sociaux, expriment des comportements électoraux souvent fluctuants et davantage liés à leur milieu et à leurs attentes face aux enjeux actuels, comme l’environnement et la justice sociale.
L’engagement politique des jeunes, largement informé par les réseaux sociaux, soulève des questions de discernement, d’objectivité et de polarisation, les exposant souvent aux biais des algorithmes et aux messages polarisants. Dans ce contexte, l’école pourrait jouer un rôle central en offrant des outils critiques et des connaissances sur la citoyenneté pour former des électeurs éclairés, capables de comprendre et de participer activement au processus démocratique.
Ainsi, si l’ouverture du droit de vote aux jeunes constitue une avancée pour la démocratie, des actions complémentaires, tant au niveau éducatif que institutionnel, sont nécessaires pour garantir une participation significative et consciente de la jeunesse européenne.
Auteur/autrice
Marie Béclard
01/12/24





Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !