Précarité Etudiante : L’élitisme une fausse solution à de vrais problèmes
C
rises successives, stages non-rémunérés, sous-encadrement, … La situation des étudiant.e.s va de mal en pire, beaucoup d’entre elleux peinent à joindre les deux bouts, les inégalités se renforcent. Les établissements ne parviennent plus à répondre aux besoins de leurs élèves, et la qualité de l’apprentissage se dégrade. Face à ces constats, le gouvernement a décidé de réformer le Décret paysage. Cette réforme est qualifiée d’élitiste, et plusieurs associations et syndicats dénoncent le sous-financement de l’enseignement supérieur.
Le covid comme révélateur
C’est depuis la crise du covid, que la problématique de la précarité étudiante a gagné en visibilité. Les différents confinements ont significativement détérioré leurs conditions de vie.
Les emplois des étudiant.e.s sont pour la plupart instables et précaires, il n’est donc pas étonnant qu’iels aient été les premier.e.s touché.e.s par la perte de revenus. Le statut de job étudiant ne permet pas d’accéder au chômage temporaire.
Le passage aux cours en distanciel impliquait d’avoir accès à une bonne connexion internet, ainsi qu’à un ordinateur. Or il a été démontré qu’une partie de la communauté étudiante n’en possédait pas1. Au-delà des frais financiers, ces outils technologiques impliquent des connaissances. Ainsi, selon leurs capitaux économiques et culturels, la contrainte technologique impacte inégalement les élèves2.
La précarité étudiante existait déjà avant la crise sanitaire. En 2017 déjà, on apprend que le nombre d’étudiant.e.s au CPAS a été multiplié par sept en dix ans3. En 2019, un rapport commandé par l’ancien ministre de l’Enseignement supérieur, démontre que 36,2% d’entre elleux sont en situation de précarité4. Ce rapport souligne aussi que beaucoup dépendent de leurs familles. Ces dépendances familiales participent à des conflits intra-familiaux, ainsi qu’à une infantilisation des jeunes adultes.
De mal en pire
La pandémie n’a donc pas été un déclencheur, mais bien un révélateur. Aujourd’hui encore, la précarité étudiante persiste, et s’intensifie. On se souvient des files d’étudiants venus chercher une aide alimentaire durant le confinement. Aujourd’hui, la situation continue d’être de plus en plus préoccupante. Il n’y a jamais eu autant de jeunes jobistes en Belgique. En dix ans, leur nombre est passé de 441.000 (en 2012), à 627.000 (en 2022), selon l’ONSS5. Les sondé.e.s déclarent avoir dû augmenter leurs heures de travail suite à l’augmentation du coût de la vie. Il est d’ailleurs désormais possible de déclarer 600 heures de travail, alors qu’avant le nombre d’heures maximum était de 475 heures. Cette mesure peut être qualifiée de méritocratique, car elle favorise l’idée que si les élèves précaires veulent continuer leurs études, iels n’ont qu’à travailler plus pour y arriver. Il est indéniable que cumuler un ou plusieurs jobs nuit au parcours académique, les chercheur.euse.s sont unanimes. Pourtant, la possibilité de ne pas travailler semble désormais être devenue un privilège réservé aux plus aisé.e.s.
Plus inquiétant encore, 40% des étudiant.e.s ont déjà renoncé à un soin de santé ou un repas pour payer leurs études6. Selon une enquête de la FEF (Fédération des étudiants francophones) datant de 2022, 63% d’entre elleux ont modifié leurs comportements à la suite de la hausse des prix de l’énergie7. Le nombre de demandes de bourse, et d’aide auprès du CPAS a continué de grimper suite aux différentes crises économiques. A présent, un étudiant sur cinq dispose d’une bourse en Fédération Wallonie-Bruxelles8. « L’augmentation du coût de la vie et des études conduit de plus en plus d’étudiants à solliciter l’aide du CPAS, car les soutiens familiaux dont ils bénéficiaient s’affaiblissent »9, estime-t-on au CPAS de la ville de Bruxelles.
L’augmentation du nombre d’élèves bénéficiant d’une aide pourrait a priori paraître positif. Seulement, la lourde charge administrative associée aux demandes de bourses et d’aides auprès du CPAS entraîne une perte de temps et d’énergie considérable. Cette situation génère du stress, et nuit à la santé mentale des étudiant.e.s les plus précaires qui sont pénalisé.e.s d’emblée. Il est important de rappeler que un.e élève boursier.e a peu droit à l’erreur car en redoublant une année, la bourse est mise en danger. De même, celleux dépendant du CPAS doivent parfois limiter leurs heures de travail déclaré, et subissent plus de pression quant à leur réussite académique.
Des précarités
Il est nécessaire d’adopter une approche intersectionnelle de la précarité étudiante, et ainsi de souligner que certains groupes sociaux sont plus affectés que d’autres. Par exemple, les femmes sont plus touchées par la précarité en générale, et c’est aussi le cas lorsqu’elles sont étudiantes.10 Selon le Réseau wallon de lutte contre la pauvreté (RWLP), cette différence serait due aux dépenses supplémentaires, telles que les soins gynécologiques, les protections menstruelles, les antidouleurs, et la contraception. Le syndicat étudiant français, l’UNEF, estime une différence de 529 euros par an de plus dépensé par une étudiante par rapport à un camarade masculin.
Les stages non-payés
En Belgique, les stages ne sont pas rémunérés, et mettent beaucoup de jeunes en difficulté. Une étude de la FEF réalisée en 2019, montre qu’un étudiant.e sur trois se dit être victime de harcèlement durant son stage, et que 37% d’entre elleux ne se sentent pas assez encadré.e.s.11 Il serait donc nécessaire de développer un cadre légal plus précis qui permettrait de mieux protéger les élèves-stagiaires. Selon Amaury Mechelynck, avocat et doctorant à l’ULB sur les relations de travail atypiques : « La réglementation du travail dépend du niveau fédéral. Mais les élèves-stagiaires considérés comme en formation relèvent davantage des Communautés, et donc pour les francophones, de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Ce qui est clair, c’est que rien n’est clair »12.
L’étude de la FEF montre aussi que le coût moyen d’un stage est de 200 euros par mois. Au-delà du cadre juridique flou, une compensation financière peut être de mise. Il faudrait au minimum que les élèves stagiaires ne s’endettent pas encore plus, en fournissant automatiquement des tickets-restaurant, et en remboursant les frais liés aux transports. Et pourquoi pas aller plus loin en rémunérant avec un salaire le travail fournit par les élèves-stagiaires ? En France par exemple, il existe une gratification minimale de tous les stages dépassant les deux mois. Cette gratification est de 3,90 euros de l’heure, soit environ 600 euros mensuels. Selon Chems Mabrouk, ancienne présidente de la FEF,« Le paiement des stages ne résoudra pas tout le problème certes, mais le faire serait une véritable reconnaissance du travail que ces jeunes accomplissent et les aiderait beaucoup dans leur budget »13.
Réformes élitistes : de fausses solutions à de vrais problèmes
Depuis plusieurs années, la population universitaire ne cesse d’augmenter. Entre 2006 et 2021, celle-ci a connu une croissance de 63%14. Pourtant, le financement par étudiant.e a quant à lui baissé de 24%. En 2021, l’IWEPS démontrait que l’enseignement supérieur en Fédération Wallonie-Bruxelles figurait parmi les moins financés des pays de l’OCDE.
A l’Université libre de Bruxelles par exemple, le manque de personnel et de lieux pour enseigner est criant. On peut ainsi évoquer le cas d’élèves de l’ULB qui ont dû passer des examens au Palais 11, et se sont plaints du froid15, ou encore les bibliothèques qui sont remplies et pour lesquelles il faut réserver à temps pour espérer y trouver une place lors des blocus. En quatre ans, entre 2018 et 2022, le corps académique a chuté de près de 25%. Cette chute engendre un phénomène de sous-encadrement, il n’y a pas suffisamment d’enseignant.e.s et de ressources pour répondre aux besoins des élèves. Ce ne sont pas des conditions d’apprentissage optimales, il serait donc urgent de restructurer les financements de l’enseignement supérieur, afin que les moyens déployés suivent l’augmentation du nombre d’étudiant.e.s.
Pour palier au sous-financement, la réponse gouvernementale est de réformer le décret paysage. Cette réforme promulguée par l’ancienne ministre de l’Enseignement supérieur, Valérie Glatigny, a été mise en application en 2022. Depuis lors, les règles de réussite et les conditions de finançabilité sont durcies. Les étudiant.e.s sont désormais contraint.e.s de réussir les 60 crédits de BAC1 en 2 ans, et de réussir leur bachelier en 5 ans. Iels sont souvent mal informé.e.s, et lorsque ces règles sont expliquées, 9 étudiant.e.s sur 10 s’y opposent16.
Madame Glatigny partait du constat qu’avec le décret paysage (2013), les études supérieures s’allongent, et augmenterait ainsi la précarité étudiante, car il y a plus d’années académiques à financer17. Selon elle, se sont les boursier.e.s qui sont les premier.e.s à être fragilisé.e.s par ce système, car le nombre d’entre elleux ayant réussi leur bachelier en trois ans, était de 18% et est tombé à 14%18.
D’après la porte-parole de la FEF, Emila Hoxhaj, certes, les étudiant.e.s les précaires prennent plus de temps à finir leurs études, mais avec cette nouvelle réforme ces étudiant.e.s ne vont juste plus avoir de diplôme.19 La solution n’est donc pas de poser des balises, mais plutôt de s’attaquer à la racine du problème, et de lutter contre les causes de l’échec.
En parallèle à cette réforme, un budget de 6 millions d’euros a été alloué à l’aide à la réussite. Mais d’après l’USE (Union syndicale étudiante), ce budget reste insuffisant car il doit être réparti en 42 établissements, et la façon dont ce budget sera dépensé reste flou. Selon le syndicat : « oui, la réforme permettra de supprimer la précarité étudiante, car elle supprimera tout simplement les étudiant-e-s précaires du monde universitaire ».20 En effet, avec ce nouveau décret, à l’ULB un grand nombre d’étudiant.e.s ne seront plus financables d’ici la rentrée prochaine. Madame Bertieaux déclare d’ailleurs : « Les nouvelles règles permettent, selon moi, de faire comprendre plus vite à certains que les études ce n’est pas pour eux21. On ne peut pas toujours adapter le système à ceux qui ne réussissent pas. »
Investir dans l’enseignement supérieur afin d’assurer sa qualité et son accessibilité est un choix politique. Restreindre le droit à l’éducation en excluant les élèves les plus fragilisé.e.s est élitiste et peut être jugé anti-démocratique, car le monde étudiant sera de moins en moins représentatif de l’ensemble de la population. C’est d’autant plus le cas aujourd’hui, parce que les crises successives ont fragilisé encore plus les jeunes qui étaient déjà précaires, et ont renforcer les inégalités entre étudiant.e.s.
1 Brotcorne P. et Vendramin P. (2021), « Une société en ligne productrice d’exclusion ? », Sociétés en changement, 11, 1-8, https://cutt.ly/lv7kO9W.
2 Fraipont, M. & Maes, H. (2021). Précarité étudiante et Covid-19 : catalyseur plus que déclencheur. La Revue Nouvelle, 3, 5-9. https://doi-org.ezproxy.ulb.ac.be/10.3917/rn.213.0005
3 Thomas J. (22 juin 2017), « Le nombre d’étudiants au CPAS multiplié par 7 en 15 ans », La Libre Belgique, https://cutt.ly/5v7IXYl.
4 ibid
5 Belga, B. (2023, août 7). 627.000 étudiants travaillent en Belgique : leur portefeuille a aussi trinqué face à l’inflation. La Libre.be. https://www.lalibre.be/etudiant/job/2023/08/07/627000-etudiants-travaillent-en-belgique-leur-portefeuille-a-aussi-trinque-face-a-linflation
6 Klassen M., Une journée dans la vie d’Odile, étudiante en situation de précarité. L post, 7 avril 2022 : https://cutt.ly/6367HaM
7 Belga, É. P. A. R., & Belga, É. P. A. R. (2022, 4 octobre). Crise énergétique : la FEF et la VVS appellent à des mesures pour aider les étudiants. RTBF. https://www.rtbf.be/article/crise-energetique-la-fef-et-la-vvs-appellent-a-des-mesures-pour-aider-les-etudiants-11078597
8 Hutin, P. C. (2023, 22 février). Précarité étudiante : les demandes d’aide explosent suite aux crises successives. Le Soir. https://www.lesoir.be/496675/article/2023-02-22/precarite-etudiante-les-demandes-daide-explosent-suite-aux-crises-successives
9 ibid
10 Fraipont, M. & Maes, H. (2021). Précarité étudiante et Covid-19 : catalyseur plus que déclencheur. La Revue Nouvelle, 3, 5-9. https://doi-org.ezproxy.ulb.ac.be/10.3917/rn.213.0005
11 Legrand, M. (s. d.). La galère des élèves-stagiaires. Alter Echos. https://www.alterechos.be/la-galere-des-eleves-stagiaires/
12 ibid
13 ibid
14 Exclure les étudiants ? Refinançons plutôt l’enseignement ! – Fédération des Étudiant·e·s Francophones. (2023, août 30). Fédération des Étudiant·E·S Francophones. https://fef.be/communique-presse/exclure-les-etudiants-refinancons-plutot-lenseignement/
15 Flament, J. (2024, 10 janvier). « Mes doigts étaient gelés » , « C’est la Sibérie » : des étudiants de l’ULB se plaignent de la température dans leur. . . La Libre.be. https://www.lalibre.be/etudiant/vie-etudiante/2024/01/10/mes-doigts-etaient-geles-cest-la-siberie-des-etudiants-de-lulb-se-plaignent-de-la-temperature-dans-leur-local-dexamen-ANJESHDV5FDO7N7PCDJFKXDGJU/
16 Accrochez-vous : Rapport de l’enquête « Priorités étudiantes » . (2024). Fédération des Étudiants Francophones, https://fef.be/wp-content/uploads/2024/01/FEF_Priorites-etudiantes_Rapport.pdf.
17 BX1. (2022, 20 octobre). FEF : « La réforme du décret paysage va accentuer la précarité étudiante » [Vidéo]. YouTube. https://www.youtube.com/watch?v=yIfWMkC5E-k
18 ibid
19 ibid
20 Étudiante, U. S. (2022, 16 octobre). Communiqué de presse commun : » ; La réforme du décret paysage, moins d’étudiant-e-s plutôt qu’un refinancement » ; Union Syndicale Étudiante. https://use.be/communique-de-presse-commun-la-reforme-du-decret-paysage/
21 Baus, M. (2023, 14 septembre). Françoise Bertieaux : « Les nouvelles règles permettent de faire comprendre plus vite à certains étudiants que. . . La Libre.be. https://www.lalibre.be/belgique/2023/09/14/nouvelles-regles-de-reussite-pourquoi-y-aurait-il-des-degats-si-les-etudiants-prennent-les-choses-au-serieux-demande-francoise-bertieaux-LFVSJPSB5FFXNDRP2KIHW7BWW4/
Auteur/autrice
Lola Cantella
30/06/24






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